Et tant pis pour les gens fatigués

Une recension de Marion Rousset, publié le

« Et tant pis pour les gens fatigués. » En guise de titre, cette phrase de Rancière qui serait plutôt du genre infatigable. « Beaucoup de travail en perspective pour qui ne veut pas mourir idiot », disait-il en 1981 à un journaliste du Monde. 1981, l’année de parution de La Nuit des prolétaires, livre fondateur qui colore ces entretiens donnés au fil des ans. Travaillant sur des archives d’ouvriers du XIXe siècle qui « ont décidé de consacrer leur nuit à autre chose qu’au sommeil, de se donner ce temps qui ne leur appartenait pas pour entrer dans un monde de l’écriture et de la pensée qui n’était pas “le leur” », La Nuit des prolétaires est le récit d’une émancipation. La pensée de Rancière, traversée par la question de l’égalité des intelligences, est parfois ardue, mais ici donnée à lire sous la forme d’entretiens qui en restituent le mouvement, révélant une culture éclectique, de Platon aux films américains, en passant par Chardin, Flaubert ou Foucault. Le parcours est celui d’un intellectuel de son temps : ENS, fascination pour Marx et Althusser, jusqu’à Mai 68 qui remet en question la « jonction entre la position du maître et celle du savant ». Rompre le partage traditionnel entre savants et ignorants pour reconfigurer le territoire du visible et du possible, voilà ce que propose Jacques Rancière. 

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