Enrichissement. Une critique de la marchandise

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Qu’y a-t-il de commun entre un couteau Laguiole, la montre Lip de votre grand-père, le musée Guggenheim à Bilbao, un sac de marque, un appartement au centre de Paris, la toile d’un artiste contemporain et une veste vintage ? Ce sont les marchandises de l’économie « de l’enrichissement » dont les sociologues Luc Boltanski et Arnaud Esquerre révèlent ici les logiques et la puissance. Pour dessiner ce visage inaperçu d’un « capitalisme intégral », très vivace en Europe de l’Ouest, ils ont pris au sérieux ce que l’on verrait comme l’écume « artiste » du marché, affaires de « bobos » et de collectionneurs fortunés : la culture, le patrimoine, le tourisme, les industries du luxe, le marché de l’art et des objets anciens, les musées et les brocantes… Le constat est surprenant : depuis la désindustrialisation des années 1975-1990, la création de richesses ne provient plus de l’exploitation de la force de travail dans la production, mais des choses mêmes, et de choses qui sont « déjà là » : le passé rapporte ! « Enrichir » signifie dès lors à la fois augmenter le profit des riches (car c’est à eux que cette économie s’adresse) et valoriser l’objet comme on enrichit un métal, en lui conférant une identité particulière par un récit qui justifie son prix (cher). Vous achèterez par exemple un couteau cent euros plutôt que dix parce qu’il est « authentique », dessiné par Stark, fabriqué dans le village de Laguiole… où la coutellerie artisanale n’existe pourtant que depuis les années 1990. Les deux auteurs renversent ainsi l’articulation chère à Marx : la question de la valeur ne se pose plus en amont du prix (la valeur détermine le prix) mais en aval (le prix crée la valeur). Avec autant d’enquêtes de terrain que d’innovation théorique, ce livre magistral repense à nouveaux frais (c’est le cas de le dire !) la nature et la critique du capitalisme.

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