Dialogue avec la faiblesse, suivi de Le Monde et ses remèdes

Une recension de Frédéric Manzini, publié le

« Démystifier ce véritable opium intellectuel que constitue la morale. » Tel est le programme que poursuit Clément Rosset (1939-2018) dans ce Dialogue avec la faiblesse inédit, issu d’un manuscrit retrouvé par hasard et rédigé par un jeune philosophe qui venait tout juste de publier La Philosophie tragique. Sa pensée sous inspiration nietzschéenne y est aussi virulente que son écriture – sans doute parce qu’il n’en faut pas moins pour extirper son lecteur de la torpeur de sa bonne conscience. De nos jours, explique alors Rosset, la morale s’est en effet substituée à la religion, mais « objectivité, liberté, justice, par exemple, contribuent à endormir notre esprit critique beaucoup plus sûrement que les normes religieuses ». Pire : insidieuse sous ses oripeaux de rationalité, mielleuse quand elle promet de récompenser les bonnes âmes et de punir les mauvaises, « la morale ordonne de croire au bonheur » ! À cette morale qui nie ce que l’existence humaine a de tragique et d’incompréhensible, Rosset oppose la lucidité de l’éthique qui veut « penser le donné selon le donné, penser le cruel selon le cruel – et ce courage intellectuel est la clef qui ouvre tous les autres ». Mais si la dureté est « la première des vertus éthiques », elle n’est jamais acquise et n’a de valeur que dans sa lutte contre la peur… et dans son dialogue avec une faiblesse qui nous guette en permanence. Tout en se réjouissant de lire une telle pensée toujours détonante, on se gardera donc de considérer que Rosset est encore vivant, dès lors que « l’oubli de la mort dans sa réalité profonde est le propre de toute civilisation moraliste ».

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