Binswanger et l’analyse existentielle
Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié leLongtemps attendue, annoncée par Foucault lui-même en 1954 avant qu’il ne renonce à publier le manuscrit, la parution de ce texte offre un témoignage inestimable de l’élaboration de la réflexion foucaldienne sur la maladie mentale. Elle débouchera en 1961, dans Folie et Déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, sur la disqualification de cette notion. La découverte de la pensée de Ludwig Binswanger (1881-1966), à la croisée de la psychanalyse et de la phénoménologie, est une étape décisive de ce parcours. Foucault y trouve « quelque chose de différent des grilles traditionnelles », qu’il qualifie même de « révolution surprenante ». Avec la Daseinsanalyse, elle opère en effet un dépassement essentiel de l’approche psychanalytique sous l’influence de Heidegger. Cette forme de psychothérapie, développée en Suisse à partir des années 1960, demeure d’ailleurs un courant minoritaire. Philosophiquement, il s’agit pour Binswanger de retrouver « l’unité dans laquelle s’exprime le malade » que Freud tend à scinder entre le conscient et l’inconscient. Cette unité est ce qui fonde la présence de l’homme au monde, « la racine de son être ». Tout l’enjeu, c’est de comprendre à nouveaux frais l’expérience pathologique, non comme la perte d’un « monde déjà-là » de sens, mais comme un « mode d’être » à part entière. Reprenant les concepts de la phénoménologie, Binswanger cesse ainsi de rapporter l’univers du fou « à la maladie, pour en chercher le fondement dans le malade lui-même : et non pas en tant qu’il est malade, mais en tant seulement qu’il est homme, qu’il est existence, qu’il est libre ».
Tout en rendant hommage à ce renversement, Foucault demeure critique : à ses yeux, si Binswanger s’efforce de « restituer à l’homme malade ce qu’il y a de plus essentiellement humain », il continue tout de même de « chercher ce par quoi [le malade] “n’est pas comme les autres”, à faire ressortir des perturbations que l’on désigne comme telles à partir d’un idéal érigé en norme ». L’analyse existentiale reste structurée par l’opposition entre le normal et le pathologique, sans interroger comment ces catégories sont façonnées par les conditions concrètes d’existence. Foucault entrevoit manifestement ces limites, et c’est sans doute pourquoi il renoncera à publier son manuscrit : son esprit est déjà tourné vers autre chose, vers une exploration des savoirs par leur histoire, leur archéologie. N’écrit-il pas, quelques années plus tard, toujours au sujet de la psychologie, que « ce qu’il y a de plus humain en l’homme, c’est […] son histoire » ?
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