Apprendre à perdre 

Une recension de Martin Duru, publié le

Il paraît que « philosopher, c’est apprendre à mourir ». Le problème avec cette formule de Cicéron reprise par Montaigne, est qu’elle polarise sur ma mort – c’est moi qui dois apprivoiser l’idée de ma propre fin (et appeler Socrate à la rescousse). Mais que se passe-t-il si l’on accorde la priorité aux autres, aux êtres chers qui – hélas ! – meurent aussi ? Alors il s’agit d’« apprendre à perdre »… Avec un tel titre, on imagine un livre livrant des recettes pour surmonter la peine. C’est tout l’inverse. Hanté par le thème de la perte dans son œuvre philosophique et littéraire – son quatrième roman s’intitulait Ce qui est perdu –, Vincent Delecroix voit en elle un bouleversement radical. Celui qui l’endure « part à l’abîme, se défait, cède de tous ses bords » ; tout s’effondre, les possibles partagés avec l’autre, le monde dans son ensemble. L’expérience de la perte est « infinie », « interminable ». L’auteur brocarde ainsi les « professionnels du deuil » qui enjoignent, moyennant un « travail », à savoir passer à autre chose... Ici, le passé ne peut ni ne doit passer. Les morts sont des « revenants » ; absents, ils ne cessent d’être présents dans nos vies (et inversement). De ces revenants n’ayons pas peur, et ne soyons pas oublieux, soutient Delecroix dans ce livre foisonnant, parfois exigeant, et toujours pugnace – de la mélancolie, oui, mais de la mélancolie de combat. Apprendre à perdre ? C’est ne jamais rompre le lien, c’est « assigner place et consistance » aux disparus, en premier lieu ceux qui ont compté et comptent encore. C’est apprendre non pas à mourir, mais à vivre avec eux, si tant est que ce qui est perdu ne l’est « jamais tout à fait ». 

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