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© Éditions Anamosa, coll. Le mot est faible

Le livre du jour

“Utopie”, de Thomas Bouchet

Ariane Nicolas publié le 04 janvier 2021 4 min

À bien des égards, l’année 2020 a semblé prendre les traits d’une dystopie : celle d’un monde méconnaissable et redouté, figé sous la menace d’une pandémie gravissime. Et si, par contraste, l’année 2021 était celle de l’utopie ? Ou du moins, d’une réhabilitation de ce concept sorti de terre à la Renaissance, à l’heure où tout le monde se surprend à rêver « le monde d’après ». C’est en tout cas la proposition formulée par Thomas Bouchet dans son petit essai Utopie (Anamosa, 2021), neuvième titre de la collection « Le mot est faible », consacrée à la (re)définition de notions historiquement denses et débattues (« Révolution », « Peuple », « Science », etc.). Prenant acte du fait que « les utopies sont aujourd’hui en fâcheuse posture », ce professeur associé à l’université de Lausanne en retrace la généalogie, soulignant à la fois les caricatures dans lesquelles certains ont voulu enfermer ce mot, et les potentialités critiques et heuristiques qu’il recèle encore aujourd’hui. Cinq cents ans après la parution du livre fondateur de Thomas More, Utopia, dans quels lieux une utopie contemporaine peut-elle à nouveau émerger ?

 

  • Utopie, un « mot disponible ». C’est Rabelais qui importe de l’anglais le mot Utopia en 1532, et lui donne sa nomenclature française. Dès le XVIe siècle, remarque Thomas Bouchet, un (fécond) malentendu lui est accolé : que signifie en effet le « u- » associé à topos (qui veut dire « lieu », en grec) ? « Le ‘u’ initial peut être l’équivalent d’un ‘ou’, et l’utopie serait alors le non-lieu (le lieu de nulle part), ou bien l’équivalent d’un ‘eu’, et l’utopie serait alors le bon lieu (le lieu du bonheur). » Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ce « mot disponible » se colore de mille nuances et interprétations possibles : « Utopie est aussi, voire surtout, ce qu’en font celles et ceux qui s’en saisissent. Ce mot caméléon prend les teintes de ce qui l’entoure. » L’utopie peut ainsi être socialiste, écologiste, féministe, anarchiste, gilet-jauniste… Qu’elle représente un rêve d’ailleurs idéalisé ou une « expérimentation » concrète, l’utopie « persiste dans son être » grâce à son pouvoir de « réinvention ». 
  • Une association naturelle avec les socialismes. Depuis cinq siècles, le mot « utopie » s’est toutefois teinté d’une connotation péjorative, surtout dans sa version adjectivée, « utopique », qui tend à disqualifier automatiquement toute proposition théorique jugée trop aventureuse. Pour Thomas Bouchet, c’est toute la distinction entre une utopie réalisée (une contradiction dans les termes, puisqu’une utopie accomplie perd son caractère de modèle idéal) et une utopie réalisable (qui se fonde, elle, sur des « faits » et peut donc aider à transformer un état de choses, même partiellement). Parce qu’ils revendiquent à la fois une part d’idéal et une analyse « scientifique » du réel, « les socialismes sont le principal terrain d’application de cette théorie de l’utopie biface », selon Thomas Bouchet. L’auteur reproche ainsi à certains de vouloir associer l’utopie à « l’autoritarisme » voire au « totalitarisme » (ce que fait par exemple le Dictionnaire de l’Académie française), tant ces rapprochements avec les écrits humanistes de Thomas More ou Tommaso Campanella (La Cité du Soleil, début du XVIIe siècle) sont anachroniques. À la fin de l'ouvrage, il préfère s’intéresser à une figure socialiste, Charles Fourier, qui prônait dans ses phalanstères un « écart absolu » avec la société, sans pour autant vouloir la dépiécer aux moyens de la violence révolutionnaire.
  • Le pouvoir critique de l’utopie. À quoi peut donc servir l’idée d’utopie aujourd’hui ? À deux choses, principalement. La première est fidèle à l’esprit de Thomas More : « Il se pourrait bien que l’utopie tienne sa force de sa charge critique […] Elle débusque dans l’ordre en place ce qu’il faudrait accepter et qui pourtant fait violence. » Que l’utopie soit imprécise ou excessive est constitutif de cette fonction critique. Comme l’écrit Saint-Simon en 1820, dans le journal L’Organisateur : « L’idée d’utopie ne signifie rien d’autre que notre incertitude. » Chercher, faute de toujours trouver le modèle le plus « juste » ou « harmonieux ». À ce titre, l’on peut regretter que Thomas Bouchet vilipende sans plus de précisions « la mal nommée utopie du progrès », hâtivement associée au « capitalisme » épinglé ici avec la même vigueur. Qu’à aucun moment le libéralisme politique ne soit envisagé comme l'une des grandes utopies réalisables de notre temps (une critique de la tyrannie et de l’arbitraire, notamment !) en fera également tiquer plus d’un.
  • Réhabiliter l’imagination ? La seconde actualité de l’idée d’utopie vient heureusement corriger ces remarques quelque peu inégales. « Pratique de la ruse souriante et radicale », l’utopie est davantage pensée comme un « bon lieu » que comme un « lieu nulle part » : un lieu à trouver – et trouvable. Peu importent les récupérations commerciales ou politiques de cette notion, elle n’a rien perdu de sa force créative, qui fait sans cesse appel à l’imagination : « Si les utopies se nourrissent de rêves, ou d’espérance, ou d’optimisme, il est à l’inverse difficile d’en repérer la moindre trace dans des mondes où l’imagination est martyrisée », écrit Thomas Bouchet. Une société sans utopie est une société triste, au mieux ; au pire, éteinte. « Il vaut la peine de relancer le mot encore et encore, plaide l’essayiste, non pas pour le brandir comme un nouvel étendard mais pour maintenir vive la puissance contestataire poétique qu’il porte en lui. » Qu’on pardonne donc aux utopies d’être parfois « ridicules » et souvent imparfaites ! L’important est d’en voir des ersatz au plus près de nous (« dans une grange, une bibliothèque, un phare, une boulangerie, sur un trampoline… »), convaincus que sans elles, nous sommes voués au « fatalisme ». Comme le clame Jim dans l’opéra de Bertolt Brecht et Kurt Weill Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny (1930), l’utopie révèle surtout une chose essentielle : qu’ici, « quelque chose manque ».

 

Publié aux Éditions Anamosa, Utopie, de Thomas Bouchet, est disponible ici en précommande (sortie le 21 janvier).

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