Un lien qui libère ?

Michel Eltchaninoff publié le 5 min

D’un côté, nul ne peut vivre sans amour. De l’autre, il faut affronter la solitude pour se trouver. Comment échapper à cette contradiction ?

Nos existences ont une source secrète. Celle-ci nous donne l’énergie de vivre, d’aller vers le monde et les autres. Depuis Platon, des philosophes ont tenté de l’identifier. Selon eux, il s’agit de l’amour. En aimant, nous tendons vers un but, nous aspirons à un idéal, nous nous élevons vers un absolu. Notre vie ne consiste plus seulement à accomplir des tâches utiles, ne se disperse plus en vains divertissements. Elle se rassemble en une fin unique et désirable. La philosophie n’est-elle pas amour de la sagesse, tension affective vers la connaissance et la sérénité ? L’amour et le désir constituent le premier moteur de notre existence, dans tous les domaines. Ce sont eux qui éveillent notre curiosité, notre ténacité à chercher, qui nous poussent et nous orientent vers le dépassement de nous-mêmes.

Mais cet éloge philosophique de l’amour va-t-il assez loin ? Dit-il vraiment le dernier mot sur l’origine de notre appétit de vivre ? Il semble qu’il existe un moteur plus profond encore que le désir d’aimer. Car ce dernier dépend peut-être de quelque chose que l’on contrôle encore moins que l’amour, car il ne dépend pas de nous : du fait même d’être aimé. Sans l’amour que nous recevons, comment imaginer ressentir à notre tour cet élan vers autrui ? L’enfant qui n’a pas été aimé par ses parents, la personne qui n’a jamais senti sur elle un regard tendre, ou même l’individu que personne ne remarque ni n’estime ne sont-ils pas des mutilés affectifs ? Les psychologues ont tenté de montrer qu’une personnalité ne pouvait se développer harmonieusement sans source d’amour. Avant le désir de donner de l’amour, il y aurait donc, archaïque, déchirant et crucial, le besoin d’être aimé. Mais ce besoin d’amour lui-même n’a rien d’évident. Il se présente en effet sous la forme d’une antinomie. Voyons.

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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