Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Photo d’illustration. © Éric Beracassat/Hans Lucas/AFP

Un éthologue dans le métro

Martin Legros publié le 06 février 2024 4 min

« En me rendant en métro chez des amis, à Paris, dimanche dernier, j’ai eu une petite révélation. Dans les transports publics, un nombre grandissant d’usagers ne croient plus nécessaire pour mener une conversation téléphonique – que ce soit de manière traditionnelle, sur WhatsApp, par FaceTime… – ou pour voir défiler leurs vidéos sur TikTok et autres réseaux, de se munir d’écouteurs ou d’oreillettes. À chaque fois, ce comportement me hérisse : j’ai l’impression qu’on me manque de respect. Eh bien, ce dimanche j’ai changé de perspective en me mettant dans les pas de l’éthologue Adolf Portmann.

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.

Dans le métro parisien donc, sur une ligne 4 bondée à l’heure du déjeuner, voilà que je me retrouve nez à nez avec un duo de jeunes filles. Très apprêtées, étudiantes ou touristes, d’origine latino-américaine au vu de leur langue, elles doivent sans doute se rendre elles aussi à un rendez-vous car elles sont sur leur 31. Tout en échangeant avec sa copine, celle qui me fait face se saisit prestement de son téléphone portable dans son sac à main et fait défiler, devant nous, les vidéos de son application TikTok dont elle ne contrôle manifestement ni le contenu – les pastilles audiovisuelles surgissent les unes après les autres à l’improviste – ni le niveau sonore, inégal d’un scroll à l’autre. Les expressions de son visage (amusée, étonnée, révulsée, lassée, etc.) se succèdent au même rythme que les vidéos, dont je ne capte pour ma part que la matérialité sonore, un maelström insignifiant et saccadé de voix et de bruit dont j’ai du mal à déchiffrer le sens mais dont il m’est quasi-impossible de faire abstraction, vu la proximité entre nous. Soudain, elle reçoit un appel : elle le prend évidemment en haut-parleur, et je me demande si son interlocuteur est au fait que tous les passagers du métro l’entendent raconter peut-être des choses intimes, au vu… et à l’oreille de tous. En réalité, ma passagère est enfermée dans une bulle ou un masque sonore, à distance d’autrui, alors même qu’elle occupe pleinement l’espace partagé par la puissance gazeuse du bruit… Jusqu’à ce qu’elle croise enfin (!) mon regard stupéfait et désapprobateur, elle ne semble pas envisager qu’elle puisse gêner ses co-religionnaires de voyage. Mais, peu à peu, sans gêne ni excuse rétrospective, le son baisse, comme si elle était revenue dans le monde commun.

Cette scène n’est pas nouvelle pour moi. Comme nombre d’usagers des transports et des espaces publics, je suis de plus en plus confronté à l’usage du téléphone portable en mode haut-parleur. Mais jusqu’ici, j’adoptais un regard sociologique ou moralisateur sur le phénomène qui me semblait attester d’une forme d’individualisme débridé conduisant les acteurs de la vie sociale à ne plus être capables, du fait de leur captation par les écrans, d’intégrer l’existence des autres, leurs semblables, dans l’espace commun. Et je ne comprenais pas pourquoi j’étais souvent le seul à rappeler les contrevenants, alors même que leur comportement accable la majorité des usagers – à Paris, neuvième ville la plus bruyante du monde, le bruit est “la première source de plaintes pour plus d’un Parisien sur deux” et l’exposition au bruit est devenue un problème de santé publique avec des effets sur l’audition, la qualité du sommeil, les troubles nerveux, etc. Mais, dans les transports en commun en tout cas, la majorité “silencieuse” semble avoir opté pour le choix de la discipline intérieure, consistant à prendre sur soi plutôt qu’à risquer un esclandre… Quant à mes enfants, lorsqu’ils me voient jouer au gendarme, ils sont bien plus gênés par mon attitude que par celle des “bruyants” !

Mais ce dimanche, j’ai eu un petit déclic. Devant la manière dont cette jeune passagère de la ligne 4 semblait avoir intégré en toute fluidité ses prothèses sonores à son exposition générale au monde du dehors, j’en suis venu à penser que loin de procéder d’un retrait égoïste dans une bulle, dans l’ignorance ou l’irrespect des autres, l’usage du téléphone en haut-parleur obéissait à une logique plus subtile, celle de l’exposition sonore de soi aux autres. Certains parlent de d’“audio-selfie” ou de “selfie sonore” pour souligner cette dimension d’attestation de soi par le bruit, comme il y a attestation de soi dans le monde, avec le selfie photographique devant la tour Eiffel ou Mona Lisa. Mais j’irais plus loin. Je crois qu’il y va d’une mise en scène ostentatoire, d’une sorte de défilé sonore.

Dans La Forme animale (Éditions La Bibliothèque), le zoologiste Adolf Portmann (1897-1982) a montré que la richesse des formes, couleurs, danses et chants des animaux ne s’expliquait pas seulement par des fonctions biologiques (alimentaire, sexuelle, reproductive, etc.), mais qu’on y retrouve également une dimension esthétique d’exposition de soi. Y compris, insistait-il, quand cette dernière n’est adressée à aucune autre créature en particulier. “Il y a là d’innombrables envois optiques qui sont envoyés ‘dans le vide’ sans être destinés à arriver. C’est une auto-présentation qui n’est rapportée à aucun sens récepteur et qui, tout simplement, ‘apparaît’.” Eh bien, face au masque sonore adopté par ma voisine de métro sur la ligne 4, j’ai eu le sentiment d’assister à un pur “apparaître” sonore au sens de Portmann. Et je me dis depuis que ce regard éthologique est peut-être la meilleure “parade” à adopter pour ne plus se sentir agressé par les nuisances sonores du métro… »

Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
6 min
Peter Sloterdijk : “Dans le passé, vous priiez ; aujourd’hui, vous avez votre téléphone portable”
Svenja Flaßpöhler 13 janvier 2021

Le téléphone portable est le symbole de notre époque, selon le philosophe allemand Peter Sloterdijk, qui a livré une analyse en ce sens…

Peter Sloterdijk : “Dans le passé, vous priiez ; aujourd’hui, vous avez votre téléphone portable”

Article
3 min
Maurizio Ferraris : “Le téléphone portable est le grand constructeur de la réalité sociale”
Stefania Gherca 23 avril 2023

À l’occasion des 50 ans du téléphone portable, Maurizio Ferraris, auteur du premier essai philosophique consacré au mobile, nous éclaire sur…

Maurizio Ferraris : “Le téléphone portable est le grand constructeur de la réalité sociale”

Article
4 min
La grande histoire du narcissisme des petites différences
Octave Larmagnac-Matheron 14 octobre 2021

Dénonçant les velléités d’indépendance de ses ministres, Emmanuel Macron condamnait récemment le « narcissisme des petites différences »…

La grande histoire du narcissisme des petites différences

Article
8 min
Roxane Hamery : “Rien ne permet de prouver que les films violents aient une mauvaise influence sur la jeunesse”
Ariane Nicolas 31 octobre 2021

La série Squid Game, très populaire dans les cours de récré, inquiète de nombreux parents. Les images violentes pourraient-elles avoir une…

Roxane Hamery : “Rien ne permet de prouver que les films violents aient une mauvaise influence sur la jeunesse”

Article
7 min
Michel Kreutzer : “Dès que vous accordez à l’animal une forme d’esprit, vous êtes amenés à envisager que ce psychisme peut dysfonctionner”
Octave Larmagnac-Matheron 28 mars 2021

Angoisses, dépressions et même autisme : les animaux, comme les humains, sont sujets à des pathologies mentales. C’est ce qu’affirment les…

Michel Kreutzer : “Dès que vous accordez à l’animal une forme d’esprit, vous êtes amenés à envisager que ce psychisme peut dysfonctionner”

Le fil
2 min
“Zoocities”, de Joëlle Zask
Octave Larmagnac-Matheron 02 septembre 2020

Lors du confinement, les animaux ont fait leur retour en ville. La cohabitation avec eux est-elle possible ? Réponse avec le dernier livre de…

“Zoocities”, de Joëlle Zask

Article
8 min
De la servitude volontaire
Philippe Nassif 19 septembre 2013

En brisant la frontière entre vie privée et espace public, le téléphone portable touche au processus même de construction de soi, constatent les…

De la servitude volontaire

Article
9 min
« L’homme est naturellement mobile »
Martin Legros 19 septembre 2013

C’est avec cette idée simple que Martin Cooper, ingénieur chez Motorola, a mis au point le premier téléphone portable. Nous étions alors en 1973…

« L’homme est naturellement mobile »

À Lire aussi
Konrad Lorenz, le père de l’éthologie
Par Denis Grozdanovitch
octobre 2012
« Politesse », par André Comte-Sponville
septembre 2013
Pourquoi personne ne sourit dans les transports en commun ?
Pourquoi personne ne sourit dans les transports en commun ?
Par Nicolas Tenaillon
août 2019
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Un éthologue dans le métro
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse