Préface de Frédéric Schiffter

Schopenhauer et l’amour dans la “Métaphysique de l’amour”

Frédéric Schiffter publié le 4 min

Selon Auguste Comte, les philosophes matérialistes auraient la spécialité de rappeler l’origine terre à terre des idéaux – d’«expliquer le supérieur par l’inférieur». Schopenhauer avait surtout la manie de saccager les rêves – pour reprendre un mot de Maupassant. Or à quoi rêvent les humains si ce n’est à l’amour, cette passion que romanciers et poètes exaltent, magnifient, sacralisent, comme si elle haussait la vie au-dessus du prosaïsme des jours rythmés par la douleur et l’ennui ?

Malgré son titre, « Métaphysique de l’amour », le chapitre du Monde comme volonté et comme représentation – ajouté vingt-cinq ans après la première édition de l’ouvrage –, n’a rien de platonicien ni de romantique, rien, même, d’érotique. En amour, répète Schopenhauer, tout est physique. L’attirance et l’attachement qu’un homme et une femme éprouvent l’un pour l’autre et qu’ils se figurent comme des sentiments nés des sphères délicates de leur âme propre, n’expriment que la force impérieuse de l’instinct sexuel qui les transit. Seulement, aveuglés par les pensées conscientes, mais illusoires, qu’ils ont d’eux-mêmes, les humains ont foi dans la pureté psychique de leurs penchants autant que dans l’autonomie de leur raison. Ils détachent leurs affects et leur intellect de leur corps mû par le vouloir-vivre comme si les branches d’un arbre, même les plus hautes, pouvaient se déployer sans le tronc, comme si le tronc n’avait pas de racines enfouies dans la glèbe, comme si la sève qui animait le tout n’irriguait pas ses moindres parcelles. Les humains idéalisent leur espèce – croient au supérieur en niant l’inférieur – et c’est en cela qu’ils sont des « animaux malades ».

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