“Tristes tropiques” : le livre monde
Le récit d’un voyage ? Un travail ethnologique de terrain ? Une autobiographie intellectuelle ? Un journal philosophique ? Une œuvre littéraire ? Un essai en forme de bilan de la civilisation occidentale ? Les ambivalences de Tristes Tropiques sont à l’image de la personnalité de son auteur, Claude Lévi-Strauss : riche et complexe.
Claude Lévi-Strauss, les dates clés
1908 Il naît à Bruxelles, où ses parents français résident brièvement, mais grandit à Paris.
1935 Il part au Brésil, officiellement pour enseigner la sociologie à l’Université.
1955 Il publie Tristes Tropiques.
1959 Il est nommé professeur au Collège de France.
1973 Il est élu à l’Académie française.
2008 Son œuvre entre dans la collection de la Pléiade.
2009 Il décède à Paris.
À quoi ça tient, un destin ? Celui de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) s’est joué précipitamment « un dimanche de l’automne 1934, à neuf heures du matin, sur un coup de téléphone ». Jeune agrégé de philosophie, il enseigne alors en lycée à Laon mais se trouve insatisfait de sa situation, effrayé devant la perspective de devoir répéter les mêmes cours tout au long de sa vie. Aussi accepte-t-il la proposition qui lui est faite d’occuper la chaire de sociologie à l’université de São Paulo nouvellement créée. Sa décision, qui lance la grande aventure de sa vie, sera également à l’origine d’un véritable bouleversement dans la vie intellectuelle de l’après-guerre.
L’enseignement de la sociologie, en tant que tel, n’est pourtant pas ce qui attire le jeune Lévi-Strauss. Il a certes nourri l’ambition d’embrasser une carrière universitaire – de même qu’il s’est également essayé à composer un opéra, à dessiner, à écrire des scénarios pour le cinéma, à faire son droit ou à s’engager politiquement dans la défense des idées socialistes. Mais tous ces projets ont fait long feu. Même la philosophie, qui est pourtant la discipline qu’il a choisie, ne le réjouit guère quand elle est pratiquée de manière institutionnelle. Dans le chapitre « Comment on devient ethnographe » qui figure au début de Tristes Tropiques, il condamne sévèrement la « gymnastique » intellectuelle qu’on enseigne en Sorbonne. L’art(ifice) de la dissertation philosophique lui semble une rhétorique verbeuse et vaine : « La philosophie n’était pas ancilla scientiarum, la servante et l’auxiliaire de l’exploration scientifique, mais une sorte de contemplation esthétique de la conscience par elle-même […]. Le savoir-faire remplaçait le goût de la vérité. » Non sans accents rousseauistes, il voit surtout derrière ces savants exercices qui font travailler l’intelligence un funeste et étouffant dessèchement pour l’esprit.
Pour retrouver ce goût de la vie et celui de la vérité, il fallait donc partir. Et suffisamment loin si possible, quitte à faire un grand saut dans l’inconnu. Car Lévi-Strauss ne veut pas seulement du vrai, il cherche aussi du neuf. Et à cet égard, le Brésil est la destination idéale, car il a tout pour lui du nouveau monde, en plus d’offrir un inégalable terrain d’observation. Âgé de 26 ans en février 1935, le voilà donc parti pour quatre années qui se révéleront décisives. Il apparaît vite que Lévi-Strauss ne remplira pas exactement les attentes qu’on a placées en lui, tant du côté brésilien que du côté français : il n’a guère l’intention d’aller prêcher la sociologie issue d’Auguste Comte et d’Émile Durkheim, qui ne représente à ses yeux qu’une « philosophie des sciences sociales » trop spéculative. Il préfère profiter de sa liberté pédagogique pour organiser des expéditions ethnographiques au cœur du Brésil, sur le terrain, à la rencontre des populations indiennes isolées. Sa vocation est trouvée : il se destinera à l’anthropologie. Est-ce sous l’influence de celle qui l’accompagne, Dina Dreyfus (1911-1999), qu’il a épousée en 1932 et qui fonde sur place la première société d’ethnologie brésilienne ? C’est en tout cas en couple qu’ils mènent les enquêtes, qu’ils observent les rites, prennent des notes et des photographies. Claude Lévi-Strauss se servira même des carnets de terrain de celle qui s’appelait alors Dina Lévi-Strauss pour rédiger, bien des années plus tard, Tristes Tropiques – car s’il noircit de nombreux cahiers et publie quelques articles pendant qu’il est au Brésil, il ne se lance encore dans l’écriture d’aucun livre.
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