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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Photo d’illustration. © Mat Jacob/Tendance Floue

Tombeau pour un habitué

Victorine de Oliveira publié le 25 janvier 2023 3 min

Franck était posé tous les week-ends au comptoir. Il buvait son café, lisait Libé, les pages culture surtout, plus étoffées le samedi, commentait un nouveau bouquin paru, parlait beaucoup, comme toutes les personnes que les murs étriqués de leur appartement parisien poussent à chercher de l’air et de la compagnie dehors.

 

« Inlassablement vêtu de noir, son éternel borsalino vissé sur le crâne, Franck était de ces silhouettes qui marquent les heures à Pigalle. Oui, on levait parfois discrètement les yeux au ciel – c’est qu’il radotait un peu, s’embarquait dans de longs monologues, mais toujours avec passion. Il avait été journaliste, connaissait Sylvain Fesson et Philippe Nassif, collaborateurs de Philosophie magazine, et me demandait toujours, quand je passais la porte du bar : “Alors, comment ça va au journal, Victorine ?” Également photographe, il était de ceux qui portent une mémoire. Mais ça, c’était avant la pandémie. Après les longs mois de confinement et de couvre-feu, nous avons tous constaté une dégradation physique générale. Il paraissait prendre moins soin de lui, ses vêtements semblaient hors d’âge, son chapeau de plus en plus élimé, son regard étrangement plus brillant mais aussi plus absent. Hier, nous avons appris sa mort.

Personne ne sait vraiment ce qui lui est arrivé. Avait-il de la famille ? Aucune idée, jamais je ne l’ai entendu en parler. Je ne connaissais même pas son âge exact, sans doute à peine la soixantaine. Si j’avais de l’affection pour lui, c’est que je m’imaginais parfois à sa place, dans trente ans, tenir la jambe à des serveurs bien plus jeunes que moi tout en ressassant le passé, sympathique tout de même – disons qu’on se serait inquiété si je n’étais pas passée prendre le café. La dernière fois que j’ai croisé Franck, c’était il y a une dizaine de jours. Il était seul au milieu d’une foule de clients occupés à écluser bruyamment des pintes. J’avoue n’avoir pas cherché la conversation, par peur de voir dans ses yeux encore plus de solitude.

Franck était ce qu’on appelle un habitué. Ça a toujours quelque chose d’un peu suspect, un habitué. N’a-t-il rien de mieux à faire que de traîner là ? Que cherche-t-il vraiment dans la compagnie de tous ces gens qui ne sont pas vraiment ses amis, mais avec qui il partage pourtant bien plus qu’une simple façade ? Sous le régime de l’habitude, on travaille à gagner en vertus, montre Aristote. La tempérance, l’amitié, la justice, le courage sont de justes milieux auxquels on peut s’exercer quotidiennement. Il faut revenir maintes fois à l’ouvrage pour espérer parvenir à l’idéal d’une vie bonne et équilibrée. Malgré les excès auxquels peut appeler un bar, le régime de l’habitué a sa vertu propre : il réclame un peu d’empathie.

Franck m’avait vivement conseillé de lire les reportages du journaliste américain Harry Crews, rassemblés par les éditions Finitude en 2019 sous le titre Péquenots. Dans Forains, Crews raconte sa rencontre avec l’un de ces freaks qui font le beurre en même temps que l’horreur des fêtes foraines : “Il aurait pu être n’importe quel mari, partant n’importe où, pour n’importe quel travail. Il se trouvait juste que son visage était scindé en deux. Ceci n’a rien d’une révélation saisissante, je sais, c’est toutefois une révélation à laquelle la plupart d’entre nous résistent parce que nous disposons de ce terme, normal, et nous pouvons dire que nous sommes normaux parce qu’une anormalité psychologique, sexuelle, voire spirituelle peut, avec un peu de chance, être efficacement cachée au reste du monde.” Qu’est-ce qui te scindait donc en deux, Franck ? »

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