Spinoza, la décision de soi
Voici l’un des plus beaux textes de l’histoire de la philosophie. Au début du “Traité pour la réforme de l’entendement”, Spinoza raconte comment il s’est mis en quête d’une « vie nouvelle ». Sa méthode ? Non pas changer du tout au tout, mais écarter certains désirs vains pour découvrir ce qui procure une joie durable et véritable.
« Je résolus enfin de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable […] dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine »
Baruch Spinoza
« L’expérience m’avait appris que toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ; je voyais qu’aucune des choses, qui étaient pour moi cause ou objet de crainte, ne contient rien en soi de bon ni de mauvais, si ce n’est à proportion du mouvement qu’elle excite dans l’âme : je résolus enfin de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine. Je résolus, dis-je, enfin : au premier regard, en effet, il semblait inconsidéré, pour une chose encore incertaine, d’en vouloir perdre une certaine ; je voyais bien quels avantages se tirent de l’honneur et de la richesse, et qu’il me faudrait en abandonner la poursuite, si je voulais m’appliquer sérieusement à quelque entreprise nouvelle : en cas que la félicité suprême y fût contenue, je devais donc renoncer à la posséder ; en cas au contraire qu’elle n’y fût pas contenue, un attachement exclusif à ces avantages me la faisait perdre également. Mon âme s’inquiétait donc de savoir s’il était possible par rencontre d’instituer une vie nouvelle, ou du moins d’acquérir une certitude touchant cette institution, sans changer l’ordre ancien ni la conduite ordinaire de ma vie. Je le tentai souvent en vain. Les occurrences les plus fréquentes dans la vie, celles que les hommes, ainsi qu’il ressort de toutes leurs œuvres, prisent comme étant le souverain bien, se ramènent en effet à trois objets : richesse, honneur, plaisir des sens. Or chacun d’eux distrait l’esprit de toute pensée relative à un autre bien : dans le plaisir l’âme est suspendue comme si elle eût trouvé un bien où se reposer ; elle est donc au plus haut point empêchée de penser à un autre bien ; après la jouissance d’autre part vient une extrême tristesse qui, si elle ne suspend pas la pensée, la trouble et l’émousse. La poursuite de l’honneur et de la richesse n’absorbe pas moins l’esprit ; celle de la richesse, surtout quand on la recherche pour elle-même, parce qu’alors on lui donne rang de souverain bien ; quant à l’honneur, il absorbe l’esprit d’une façon bien plus exclusive encore, parce qu’on ne manque jamais de le considérer comme une chose bonne par elle-même, et comme une fin dernière à laquelle se rapportent toutes les actions. En outre l’honneur et la richesse ne sont point suivis de repentir comme le plaisir ; au contraire, plus on possède soit de l’un soit de l’autre, plus la joie qu’on éprouve est accrue, d’où cette conséquence qu’on est de plus en plus excité à les augmenter ; mais si en quelque occasion nous sommes trompés dans notre espoir, alors prend naissance une tristesse extrême. L’honneur enfin est encore un grand empêchement en ce que, pour y parvenir, il faut nécessairement diriger sa vie d’après la manière de voir des hommes, c’est-à-dire fuir ce qu’ils fuient communément et chercher ce qu’ils cherchent. »
Faites-vous primer le désir comme Spinoza, la joie à l'instar de Platon, la liberté sur les pas de Beauvoir, ou la lucidité à l'image de Schopenhauer ? Cet Expresso vous permettra de le déterminer !
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