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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Paris, le 25 novembre 2023. Des femmes détournent une marche féministe à Paris pour condamner le silence de ces militantes face à l’appel des femmes victimes du Hamas le 7 octobre dernier en Israël. © Maya Vidon-White/UPI/Maxppp

“Se désolidariser”, le nouveau geste féministe ?!

Martin Legros publié le 28 novembre 2023 7 min

« C’est avec consternation que j’ai découvert la tribune publiée sur le site du Média par d’éminentes philosophes de l’éco-féminisme telles que Donna Haraway, Isabelle Stengers, Elsa Dorlin et Émilie Hache sur la guerre au Proche-Orient. Selon elles, le féminisme serait menacé dans son intégrité s’il acceptait de dénoncer les crimes commis par le Hamas le 7 octobre… contre les femmes. Ne nous laissons pas “enrôler” dans une telle “propagande”, nous avertissent-elles, et gardons les yeux sur la seule lutte “acharnée” qui compte, celle contre la violence du capitalisme, du colonialisme et l’impérialisme dont “nos corps et nos esprits” font l’expérience “au quotidien” et qui nous oblige vis-à-vis d’un seul peuple, les Palestiniens en lutte contre un génocide qui “ne se discute pas” mais “se combat radicalement”. Face à un tel niveau du jugement politique – et une telle incohérence philosophique –, on se sent désarmé. J’ai pourtant choisi de revenir à l’idéal du perspectivisme féministe dont se réclament ces philosophes pour leur répondre.

Mise à jour mercredi 29 novembre : le nom de Donna Haraway a disparu de la liste des signataires. Le Média n’a pas fourni d’explications.

Tout est donc parti d’un premier appel publié le 10 novembre dans le journal Libération par un collectif de personnalités allant de Charlotte Gainsbourg à Anne Hidalgo. À l’initiative de l’association “Paroles de femmes” qui lutte contre les violences conjugales, cet appel “non politique”, “purement féministe et humaniste” soutenait que le massacre du 7 octobre avait aussi visé des femmes qui n’avaient pas été tuées comme les autres. “Des femmes ont été violées au point de fracturer leurs bassins. Leurs cadavres ont été violés également. Leurs organes génitaux ont été abîmés. Ils ont uriné sur leurs dépouilles. Certaines ont été décapitées, d’autres démembrées et brûlées. D’autres encore ont été prises en otages.” Aussi était-il important, selon cet appel, de qualifier pénalement cet acte de “féminicide de masse”. “Les violences faites sur ces femmes correspondent en tout point à la définition du féminicide, c’est-à-dire le meurtre de femmes ou de jeunes filles en raison de leur sexe”, concluaient-ils.

C’est cette démarche qui est apparue inadmissible et même “obscène” à Haraway, Stengers, Hache et Dorlin, et qui a incité ces grandes voix du féminisme philosophique à exprimer leur colère et leur indignation. Essayons de comprendre pourquoi, quitte à prendre le temps, en entrant dans le détail de leurs arguments… et de leur rhétorique.

Premier point : l’appel à qualifier le 7 octobre de “féminicide” se présente comme “non politique” alors qu’il est notamment signé par un ancien ambassadeur d’Israël – ce que les signataires de la tribune dénoncent.  Mais d’où vient que la présence d’un personnage politique israélien sur un texte ou une pétition annule la valeur de ce texte ? Plus sérieusement, l’appel utiliserait une stratégie politique bien connue des militants LGBT+ sous le nom de “pinkwashing” et consistant pour une organisation à se présenter comme le défenseur revendiqué des droits d’une minorité… pour faire oublier ses pratiques d’exclusion.

Entendons : ces personnalités, en grande majorité françaises, seraient en réalité les porte-parole inavouées d’une organisation, l’État d’Israël, et sous couvert d’une opération de blanchiment moral ou de “rosification” de cette organisation, ce qu’elles “nettoient”, selon une métaphore du nettoyage politique qu’affectionnent les autrices, c’est “un génocide en cours” dont la réalité “ne se discute pas”. Mais depuis quand peut-on porter une accusation criminelle aussi grave que celle de “génocide en cours” en refusant qu’elle fasse l’objet d’une discussion argumentée et étayée ? Et depuis quand des philosophes qui se réclament de la science sont-elles fondées à décider entre elles ce qu’on discute et ce qu’on ne discute pas dans l’espace public et juridique international ? 

Deuxième point : la demande de reconnaissance du “féminicide” ferait l’impasse sur la “contextualisation de la situation”, condamnerait “sans appel” les combattants du Hamas et reconduirait la vision d’un “musulman barbare” et d’un “Orient monstrueux coupable des pires atrocités” contre “une population israélienne féminisée lavée de tout soupçon”.

Alors qu’il n’était pas fait mention de ces concepts racisants dans la première tribune, on nous invite ainsi à considérer que qualifier les assassins du 7 octobre de coupables de féminicide présupposerait une vision raciste de ces acteurs, car seuls pourraient commettre de tel délits des “musulmans barbares” ou des “Orientaux monstrueux”, éduqués dans le mépris des femmes selon l’image des assaillants que les féministes indignées prêtent aux dénonciateurs de ces crimes, qui précisaient pourtant, dans leur appel, que cette qualification pénale est mobilisée pour dénoncer aujourd’hui de nombreux crimes conjugaux dans nos sociétés sans que cela ne crée de soupçon de ce type.

Là où l’appel initial nous incitait à regarder en face la spécificité des crimes commis contre les femmes le 7 octobre, voilà que ces philosophes nous invitent à glisser – c’est le sens de ce qu’elles appellent “contextualiser” : “comme dans tout conflit armé, la mort de civil.e.s (ah, la vertu déréalisante de l’écriture inclusive face à une violence dérangeante !) et d’enfants en particulier nous indigne”. Car ce qui compte, ce ne sont pas ces violences générales, propre à “tout conflit armé” (ah bon, les victimes du 7 octobre étaient donc armées ?). Non la violence qui compte, c’est celle exercée par “les citoyennes israéliennes qui servent volontairement dans Tsahal” (ah, on croyait que le service militaire était une charge partagée par tous les citoyens et citoyennes israéliens ?), qui “larguent leurs bombes au phosphore, brutalisent et humilient grands-mères et grands-pères palestiniens, arrêtent et emprisonnent illégalement des adolescents” (tout d’un coup, la violence s’incarne, les victimes, uniquement civiles de ce côté, prennent un visage et la légalité redevient un critère d’action…). Et ce qu’il ne faut pas oublier, c’est le viol utilisé comme “technique parmi d’autres” (de la vertu rhétorique de la généralisation !) par les services de renseignement israéliens sur les prisonnières palestiniennes. On en viendrait presque à penser qu’un féminicide… explique ou efface l’autre.

Enfin, on nous invite à ne pas oublier, histoire de tout confondre, l’expulsion “scandaleuse” par le gouvernement français de Mariam Abou Daqqa, militante de l’organisation terroriste FPLP, qui a commis treize attentats contre des civils israéliens de 2002 à 2015 et dont le Conseil d’État français, sollicité dans les formes et les délais, a estimé, après examen du dossier, que sa présence pour une série de conférences au lendemain des attaques du 7 octobre était bien susceptible de créer “un trouble à l’ordre public”.

Troisième point, le plus problématique, car il fonde le supposé “positionnement féministe” de nos philosophes. Elles semblent en avoir douté. Il n’était pas évident, admettent-elles, qu’une perspective “féministe” soit “activable” face à la situation en Palestine occupée. Est-ce la reconnaissance d’un fait un peu gênant d’un point de vue féministe ? Il se trouve que ce sont majoritairement les hommes qui gouvernent, agissent et décident de l’avenir du peuple palestinien. Et le Hamas, dans son organisation et ses fondements idéologiques, ne remplit pas tous les critères d’un féminisme exigeant. Mais puisqu’elles parlent d’un point de vue “embarqué et situé”, celui de “mères, sœurs, filles de, compagnes, amies, militantes” qui “savent ce qu’il en coûte de violence sur nos corps et nos esprits de vivre dans un monde mutilé par le capitalisme et l’impérialisme”, elles considèrent que la seule option féministe possible, le seul camp dans lequel elles peuvent se reconnaître, est celui de la lutte “désespérée” mais “sans résignation” du seul peuple palestinien.

Entendons bien le raisonnement produit ici. Donna Haraway avait jadis défendu dans son Manifeste cyborg (1984), avec le “perspectivisme féministe”, l’idée qu’à la différence des hommes, toujours enclins en vertu de leur position dominante à parler comme Dieu, d’un point de vue de survol, les femmes et les assujettis assument une perspective incarnée, singulière, “merveilleusement détaillée”. Mais elle précisait : “Les points de vue ‘assujettis’ ne sont pas dispensés de réexamen critique, de décodage, de déconstruction et d’interprétation… Ils sont privilégiés parce qu’ils semblent promettre des récits du monde plus adéquats, plus soutenus, plus objectifs, plus transformateurs. Mais apprendre à voir d’en bas requiert au moins autant de savoir-faire avec les corps et le langage, avec les médiations de la vision, que les visualisations technoscientifiques ‘les plus élevées’”. Bref, le perspectivisme féministe était conçu comme une invitation “à chacun de rendre partageable son point de vue situé et unique”.

Aujourd’hui, sous couvert de la belle abstraction que constitue la “violence capitaliste, colonialiste et impérialiste”, éprouvée semblablement par toutes les femmes des deux côtés de la Méditerranée, il ne reste rien de cette proposition-là. Et le récit du monde que produisent ces philosophes féministes, loin d’être “merveilleusement détaillé”, revient à exclure les femmes israéliennes victimes du 7 octobre de toute considération morale et juridique. Et à faire de la négation d’un des premiers “féminicides de masse” du XXIe siècle un titre de gloire de la rhétorique féministe. Assumer un positionnement “embarqué”, cela revient non pas à rendre partageable une expérience, mais à décider une fois pour toutes qui est du bon côté de l’histoire et qui a le droit, ou pas, au respect. À ce titre, le conflit israélo-palestinien signe aussi la triste défaite d’un certain féminisme. »

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