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© Éric Flogny pour PM

Isabelle Stengers. « La science n’est pas une conquête mais une aventure »

Isabelle Stengers, propos recueillis par Laurent de Sutter publié le 28 mars 2012 15 min

Philosophe et historienne des sciences, Isabelle Stengers est l’auteur d’ouvrages décapants sur l’écologie, l’hypnose ou la sorcellerie. Rencontre avec une iconoclaste de la pensée.

 

La science était jusqu’il y a peu notre dernière autorité. Nous nous en remettions à elle pour nous dire non ce que nous devions faire, mais ce que nous pouvions savoir. Elle échappait au tourbillon des opinions contradictoires et des croyances irréconciliables. Et voilà que, désormais, tout se passe comme si elle était entrée dans la valse du pour et du contre. Climat, OGM, nanotechnologies… on ne compte plus les questions scientifiques où le débat fait rage, dans le public mais aussi entre scientifiques. L’expertise se voit contestée par une série d’usagers qui prétendent disposer d’un savoir plus pertinent, et plus indépendant, que celui des spécialistes, parfois liés à des intérêts économiques… Et les sciences humaines s’emparent des pratiques scientifiques pour montrer que, chez leurs collègues aussi, la quête du pouvoir prédomine parfois celle de la vérité – ce qu’on a appelé « la guerre des sciences ». Comment régler ce différend ? En restaurant l’autorité à l’ancienne ? Ou en renonçant à l’idée même d’une science non partisane ?

Pour Isabelle Stengers, il s’agit de se faire une idée plus juste de la science. Formée par le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine, mais aussi par la lecture de Deleuze et Whitehead, cette philosophe belge s’est d’abord donné pour tâche, aux côtés de Bruno Latour, de raconter autrement l’histoire des sciences. À la suite d’une série de rencontres, avec le psychiatre Léon Chertok, connu pour ses travaux sur l’hypnose, ou avec l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, elle s’est intéressée à ces pratiques mises au ban de la science officielle, alors même qu’elles mettaient en œuvre un dispositif de connaissance fécond. Face à la guerre des sciences, Isabelle Stengers a toujours adopté la position leibnizienne du « diplomate ». Mais il est une question sur laquelle elle refuse toute concession : le climat. Là, le doute lui apparaît criminel, et la seule parade est de se préparer à faire face à la barbarie qui vient. Rencontre avec une diplomate intransigeante.

 

Isabelle Stengers en six dates

  • 1949 Naissance à Bruxelles 
  • 1973 Diplômée en philosophie, collaboration avec Ilya Prigogine, futur prix Nobel de chimie, et découverte de Deleuze et de Whitehead 
  • 1978 Rencontre avec Bruno Latour avec qui elle ne cessera de dialoguer 
  • 1986 Rencontre avec Léon Chertok et réflexion autour de l’hypnose 
  • 1990 Création avec Philippe Pignarre de la maison d’édition Les Empêcheurs de penser en rond 
  • 1992 Rencontre avec Tobie Nathan et découverte de l’ethnopsychiatrie

Comment êtes-vous devenue philosophe des sciences ?

Isabelle Stengers : J’ai choisi les sciences pour échapper à une normalité familiale. Mes deux parents sont historiens, il me semblait que les sciences me permettraient d’échapper à une vision historique du monde. Mais, au cours de mes études de chimie, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger sur la manière dont les scientifiques travaillent : ce qu’ils ignorent, ce qu’ils postulent, ce en quoi ils ont confiance, les problèmes qu’ils ne posent pas, etc. Je me suis alors dirigée vers la philosophie par un mouvement que j’assimile à celui des réfugiés politiques : mon lieu natal n’accepte pas ce que je suis devenue, il faut que j’aille ailleurs. Pour de nombreux chercheurs aujourd’hui, la philosophie est une terre d’asile, un lieu où penser ce que « chez eux » on leur demande de faire. Je me suis donc engagée en philosophie pour gagner la liberté de penser ce que j’avais appris en sciences.

 

En 1978, vous avez écrit avec le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine La Nouvelle Alliance, un livre qui a fait événement. De quoi s’agissait-il ?

Prigogine aimait sa science non pas comme une conquête de la raison mais comme une aventure qui n’a pas à prétendre à une autorité générale. Pour lui, lorsque la physique se glorifie d’avoir découvert la réalité ultime du temps en niant l’expérience humaine du devenir et de l’irréversible, il s’agit d’une simplification déplacée. Nous sommes les enfants du temps, pas les auteurs du temps, disait-il. Prigogine avait besoin de quelqu’un avec qui il puisse situer ses propres travaux dans cette perspective, ce qui m’a obligée à mon tour à commencer à apprendre à me situer comme philosophe. Ce fut ma grande chance.

 

Comment définir la singularité de la science moderne ?

Il faut toujours en revenir, je crois, au contraste entre « la » science dite moderne et l’événement rare que constitue une « réussite expérimentale », dont on peut dire que Galilée a découvert la possibilité. Galilée a énoncé ce que tous les physiciens tiennent pour le premier énoncé « vraiment scientifique » : la loi mathématique définissant comment les corps accélèrent lors de leur chute. Mais, souvent, la chose est présentée comme le produit d’une observation soigneuse des faits. Or, Galilée n’observe pas, il expérimente, invente le premier dispositif expérimental : le plan incliné qui lui permet de « faire varier la chute ». C’est grâce à cela que se produit l’événement que j’appelle « réussite expérimentale » : les variations témoignent de la manière dont la chute doit être définie. En règle générale, la rationalité scientifique se présente comme une conquête souveraine de la nature, et toute découverte particulière exemplifie ce droit de conquête. Si l’on parle au contraire de réussite rare, sélective et coûteuse, on se situe dans l’aventure. Une réussite donne confiance en la possibilité d’autres réussites, pas en celle d’une conquête générale. Le scientifique est alors un alpiniste qui réussit à prendre prise, mais doit ensuite trouver une autre prise, tout en courant le risque de rester bloqué. Une paroi n’est pas définie par sa « grimpabilité », de même que le monde ne se définit pas par sa « connaissabilité ». L’aventure consiste à réussir à passer, sur un mode qui peut être très compliqué et sélectif. Et chaque prise est un événement.

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