#Scienceporc, l’impartialité en accusation

« J’avais l’impression que Sciences-Po, c’était terminé. J’en avais rêvé, mais ça m’était refusé à cause de tout ça ». Juliette, une étudiante de l’Institut d’études politiques (IEP) de Toulouse explique que, depuis son viol, Sciences-Po (le surnom des IEP) est devenu pour elle un cauchemar. Sa lettre ouverte, publiée sur les groupes de discussion en ligne des élèves de l’école, puis sur Instagram, et « destinée à cell(eux) qui le voudront, pour plus jamais que cela n’arrive », a déclenchée une vague de tweets vite agrémentés du hashtag #SciencesPorc. Le slogan de ce « #MeToo » de l’école Sciences-Po Paris et des IEP est puissant. #SciencesPorc déboulonne à lui seul un présupposé encore très ancré dans les mentalités : la science – y compris politique – serait un lieu de savoir, à l’abri de la violence du monde. Difficile donc d’imaginer des « porcs » dans ce havre de connaissance, loin du tumulte de la société. Et pourtant. Les témoignages glaçants se multiplient, montrant que, non, les « porcs » ne s’arrêtent pas aux portes de la science. 

• Sandra Harding, philosophe et épistémologue féministe américaine, a cherché à étudier les raisons qui nous ont poussées à distinguer la supposée impartialité de la science et les motifs personnels et sociaux. La principale cause de cette illusion vient, selon elle, d’une vision biaisée de l’objectivité. Dans The Science Question in Feminism (1986, non traduit), elle explique que cet impératif d’objectivité pousse à croire que la science est exempte de toute interférence avec le monde social. La science doit rester « pure », totalement neutre. Le savant doit donc séparer ce qu’il est, « d’où il parle » et ce sur quoi il travaille. Bref, le savant doit se séparer, en tant que personne, de son œuvre scientifique. 
• Selon Harding, cette séparation est illusoire. La science n’est pas « hors sol ». Elle résulte d’un travail réalisé par des êtres sociaux. Aucun domaine ne plane dans le ciel des idées et des grandes théories. 
• À partir du raisonnement de Sandra Harding, on peut s’interroger sur l’élargissement de cette position épistémologique d’autres domaines que celui de la science. Doit-on, par exemple distinguer une institution des actes qui sont commis en son sein ? Doit-on séparer l’école de ses agresseurs ? 
• On passe alors de la neutralité « épistémologique » à la neutralité « axiologique » – qui concerne les valeurs. En adoptant cette position d’extériorité, voire de surplomb, l’école ne se prononce ni sur le bien ni sur le mal. Il en va ainsi du silence de l’administration des IEP, affirmant qu’elle n’est pas compétente, ou pas concernée, pour statuer sur ce scandale. Un silence dénoncé par les victimes. 
• Le risque, en voyant le monde de la science comme un terrain « neutre », un monde de prestige et de Vérité (avec un grand V) détaché du monde (et de ses « porcs »), est donc de ne pas prendre en compte la souffrance des victimes face aux assauts des agresseurs. La neutralité, en quelque sorte, « neutralise » l’action.