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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Oberholster Venita/Pixabay

Saint-Nicolas ou le mystère fraternel de l’enfance

Martin Legros publié le 05 décembre 2023 4 min

« Demain, 6 décembre, c’est la Saint-Nicolas, le “patron des écoliers”, celui qui, selon la légende, ressuscita trois enfants mis au saloir par un boucher. En Belgique, comme dans les pays du Nord de l’Europe ou en Alsace, ce fut longtemps une fête au moins aussi importante que Noël. Et pour moi, elle s’est toujours doublée d’une joie supplémentaire, liée à la fraternité. L’occasion d’essayer de ranimer ce que Deleuze appelait un “bloc d’enfance”.

Ce jour-là, tout s’arrêtait, y compris le temps. Le 6 décembre, jour de la Saint-Nicolas, nous attendions sa venue avec une terrible frénésie. Elle s’opérait en deux temps. La nuit, d’abord, au domicile de chaque famille. Après que nous avions déposé, avant de nous coucher, nos lettres personnalisées dans la cheminée, à côté d’un petit verre d’alcool pour lui permettre de lutter contre le froid de la nuit hivernale et d’une carotte pour son âne, il profitait de notre sommeil pour descendre secrètement y déposer ses cadeaux. Et je me souviens encore de l’émerveillement ressenti – je devais avoir 6 ou 7 ans – lorsqu’en accourant de ma chambre, l’un de ces matins enneigés, j’entendis le bourdonnement d’un petit train électrique qui faisait ses rondes devant un verre d’alcool mystérieusement avalé… Mais si ses passages nocturnes et clandestins à nos domiciles nous échappaient, à l’école, en revanche, son apparition était assurée en grande pompe. Nous l’attendions toute la matinée avec un mélange de peur et d’impatience. Il faut dire qu’il était impressionnant, avec sa barbe blanche, sa longue robe rouge écarlate, sa mitre sur la tête, sa crosse dorée en spirale et sa voix grave demandant, inquisiteur : “Alors les enfants, est-ce que vous avez été sages, cette année ?” Sans compter le silence menaçant de son acolyte, le père Fouettard, grimé en noir et muni d’un martinet, censé châtier ceux qui avaient fait trop de bêtises… À son arrivée dans l’établissement, saint Nicolas déambulait d’abord silencieusement dans la cour, tel un Roi mage, avant de pénétrer dans chacune des classes. Les cours s’interrompaient, la maîtresse l’accueillait avec révérence, il nous posait quelques questions avant de distribuer ses cadeaux avec lesquels nous allions pouvoir jouer toute la journée. Dans le lieu même qui symbolisait la discipline, l’apprentissage, la connaissance, sous les yeux de nos maîtres, le jeu, la fête, la magie faisaient ainsi l’objet d’une sorte de sacre officiel. Et, nous, les enfants, étions invités à suspendre volontairement toute forme d’incrédulité pour nous adonner pleinement à un rituel qui démentait tout ce qu’on apprenait le reste de l’année… Tandis que la participation réglée des adultes à ce cérémonial, à nous seuls destinés, achevait de nous remplir de l’idée de notre importance. Mais pour moi, ce jour béni ne s’arrêtait pas là. Après la surprise du matin devant la cheminée et le cérémonial de l’école, voilà que le soir même prenait place une fête supplémentaire pour l’anniversaire de ma sœur. Fanny, c’est son prénom, est née deux ans avant moi, un 6 décembre ! Et la magie de Saint-Nicolas s’est donc accolée dès l’enfance à l’expérience de la fraternité, d’une fraternité essentielle, où, pour le dire d’un mot, j’ai fait l’expérience de la synthèse miraculeuse de l’amour et de l’amitié.

Saint-Nicolas est aujourd’hui une fête un peu en déshérence, qui pâlit à côté de Halloween et de Noël. Mais elle garde pour moi une saveur particulière : celle d’une circulation magique des êtres et des choses qui permet à la vie de se régénérer. Une sorte de bloc d’intensité vivante propre à l’enfance. Dans un texte consacré au père Noël et à saint Nicolas, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss se demande pourquoi les adultes cherchent avec tant d’ardeur à entretenir le plus longtemps possible auprès de leur progéniture la croyance dans ce personnage sans lien évident avec la culture chrétienne ou occidentale. Et sa réponse est qu’on tient là un rituel d’initiation où les enfants sont les représentants des morts. En les couvrant de présents, les adultes aspirent à ce que les disparus les laissent en paix, et à préserver ainsi une vie de partage et de générosité à l’abri de la peur de la mort. “Veille toujours au fond de nous le désir de croire, aussi peu que ce soit, en une générosité sans contrôle, une gentillesse sans arrière-pensée ; en un bref intervalle durant lequel sont suspendues toute crainte, toute envie, toute amertume”, écrit-il dans “Le Père Noël supplicié” (Seuil, 2013, article republié dans Philosophie magazine ici). En offrant des cadeaux aux enfants, représentants des morts, les hommes rendent hommage à la douceur de la vie. Ils leur adressent une prière, “une prière toute mêlée de conjuration”, pour qu’ils consentent, en croyant au père Noël et à saint Nicolas, “à nous aider à croire en la vie”. J’ajouterais, pour ma part, que la fusion en ce 6 décembre de la Saint-Nicolas et de l’anniversaire de ma sœur m’a peut-être donné un intervalle de temps plus long que les autres durant lequel étaient “suspendues toue crainte, toute envie, toute amertume”. Et que la fraternité magique qui était fêtée ce jour-là m’a davantage encore “aidé à croire en la vie”. Joyeuse Saint-Nicolas à tous ! Et bon anniversaire, Fanny ! »

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