À quoi être fidèle ?

publié le 3 min

Marie Lelong, 32 ans, Paris

À soi ou aux autres ? À ses valeurs ou à son désir ? À son histoire ou à son projet ? À une parole donnée ou à un accord tacite ? À son destin ou à sa liberté ? Si notre vie n’est pas facile, c’est que nos différentes fidélités possibles entrent bien souvent en concurrence. L’infidélité dans le couple peut tout à fait relever d’une fidélité à soi, comme la fidélité à des valeurs peut relever d’une infidélité à son désir profond. Souvent, en effet, nous invoquons des valeurs, nous déployons des efforts pour vivre fidèlement à ces valeurs, mais c’est pour comprendre in fine que, dans cette quête, nous nous sommes éloignés de notre désir, de notre aspiration existentielle principale – notamment lorsque ces valeurs ont été reçues dans une éducation sans être questionnées. Parfois aussi, nous nous battons pour un projet, tentons d’être fidèles à une ambition pour découvrir plus tard qu’elle nous correspond mal, et qu’une forme de fidélité à soi, à son histoire, devrait plutôt exiger un renoncement à ce projet. Comment répondre alors à votre belle question ? En envisageant des « fidélités successives » [d’après le titre d’un livre de Nicolas d’Estienne d’Orves (Albin Michel, 2012)] ? Mais où serait la fidélité si j’en changeais tout le temps ? À la fin de son séminaire « L’éthique de la psychanalyse », Lacan affirme que la véritable culpabilité vient du fait « d’avoir cédé sur son désir ». Reste à savoir de quelle nature est ce « désir » à quoi il faudrait être fidèle pour ne point trop souffrir, et que Lacan présente comme le résultat de notre enfance, de notre histoire et même de celle de nos parents.De plus, s’il est inconscient, comment savoir si je lui suis fidèle ? Réponse de Lacan : en le trahissant et en portant cette trahison dans son corps, dans ses symptômes. La psychanalyse serait alors cette pratique permettant de se rapprocher de son désir et d’envisager une vie plus fidèle à cet « axe », hérité de notre histoire. La réponse, radicale, a le mérite de nous laisser entendre que, peut-être, la vraie fidélité est davantage une fidélité à ce que nous n’avons pas choisi, à ce dont nous héritons au sens propre, qu’aux valeurs ou aux projets que nous aurions « librement » posés. Le succès de nos autres fidélités, de nos entreprises, de nos efforts de volonté, serait alors conditionné par cette fidélité à son désir. Chez Lacan comme chez les stoïciens, Spinoza ou même Nietzsche, c’est bien dans l’acceptation de ce qui ne dépend pas de nous que nous trouvons la force de changer ce qui dépend de nous.

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