“Qui veut faire l’ange fait la bête” : la citation de Pascal commentée
On vous le dit et on vous le répète à Philosophie magazine : cette année 2023 marque les 400 ans de la naissance de Blaise Pascal. En plus d’être un philosophe de première importance, celui-ci est aussi un écrivain qui a le sens des formules et le goût des paradoxes. Et dans le cas de la phrase « Qui veut faire l’ange fait la bête » extraite des Pensées, la signification n’a rien d’évident… car quel mal y a-t-il à vouloir faire le bien ? Pas de panique, on vous explique tout !
D’où vient l’expression ?
La formule de Pascal constitue l’un des nombreux fragments de ce recueil composé de liasses découvertes après sa mort et qui ont été rassemblées sous le titre de Pensées. Elle n’a donc ni contexte déterminé ni place assignée au sein de l’ouvrage, où elle se donne à lire ainsi dans son intégralité, sèche et sans appel :
« L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »
Blaise Pascal, Pensées, (n° 557 dans l’édition Sellier, 678 dans Lafuma, 358 dans Brunchvicg, et 572 dans Le Guern).
Que veut-elle dire ?
Malgré sa simplicité apparente, la formule de Pascal appelle une explication à plusieurs niveaux d’analyse.
Ce que l’homme n’est pas
- Elle veut d’abord faire comprendre à quel point est naïf l’angélisme qui croit possible que l’être humain fasse abstraction de la part de méchanceté inscrite qui est en lui. La première partie de la pensée, en effet, rappelle à celui qui aurait tendance à l’oublier quelle est la véritable nature de l’homme. Ou plutôt non : elle ne dit pas ce qu’est l’homme mais plutôt ce qu’il n’est pas, à savoir ni totalement bon ni totalement mauvais. La condition humaine se situe selon ce chrétien convaincu dans cet entre-deux marqué par la marche vers la mort et le péché originel dont nul ne saurait s’exempter par ses propres forces.
Une posture de vanité
- Il y a donc, et c’est la deuxième critique, un certain orgueil caché dans la prétention à faire advenir le bien. En sommes-nous d’ailleurs capables ? N’est-ce pas au seul pouvoir de Dieu lui-même ? Remarquons d’ailleurs que Pascal n’écrit pas « qui fait l’ange fait la bête » (comme on le dit parfois quand on le cite mal) mais bien « qui veut faire l’ange ». La différence est d’importance : elle montre qu’il est impossible de faire réellement l’ange mais qu’on peut tout au plus vouloir le faire. Derrière les intentions affichées de ceux qui voudraient jouer à faire l’ange – comme on endosse un costume d’emprunt – peut donc se dissimuler la vanité d’une posture trop ambitieuse pour être véritablement honnête.
Une mise en garde
- Mais ce n’est pas tout. Le candide angélisme se révèle également d’autant plus nuisible et dangereux qu’il n’a pas pleinement conscience de ce à quoi il risque d’être conduit malgré lui. C’est d’une manière lucide que Pascal nous met solennellement en garde : attention, à prétendre faire l’ange, on ne s’expose pas seulement à échouer mais bien à se transformer en bête. Et nous pouvons incidemment supposer que l’inverse n’est pas vrai : celui qui voudrait faire la bête… ferait effectivement la bête et certainement pas l’ange !
Tragédie de la volonté
- Pascal apporte enfin une nuance supplémentaire quand, sans en rester au simple niveau du constat de la déchéance du soi-disant ange en bête, il ajoute que c’est le « le malheur [qui le] veut ». Il y a quelque chose de tragique dans cette précision : celui qui voudrait faire le bien et appartenir aux bienheureux se rend en réalité malheureux en faisant le mal, et rend malheureux les autres.
On distinguera cependant la pensée pascalienne d’une autre expression d’apparence similaire (et qui a une longue histoire que l’on peut faire remonter au moins jusqu’à Bernard de Clairvaux, au XIIe siècle), à savoir celle selon laquelle « le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Alors que cette dernière formule insiste sur le caractère abstrait des intentions pour les opposer à la réalité de l’action vertueuse, celle de Pascal nous invite davantage à nous regarder en face : nous prenons-nous pour de bonnes personnes au cœur pur ou sommes-nous prêts à voir les tensions qui nous traversent et à assumer notre part d’ombre ?
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