“Quelle est la différence entre une pensée et une opinion ?”

Richard Rorty publié le 3 min

Question de Pauline Coldefy.

« L’opinion est du genre du cri », peut-on lire dans le Philèbe de Platon. Ce dernier y va un peu fort. Pourtant, soyons honnêtes : la plupart de nos opinions ne résultent pas en effet d’une pensée réfléchie mais d’une forme d’immédiateté, de ressenti, et traduisent souvent la force du conditionnement social ou du préjugé bien plutôt qu’une réflexion libre. Comment une opinion peut-elle donc devenir une pensée ? Peut-être déjà en se confrontant vraiment à d’autres opinions. Peut-être aussi en s’interrogeant sur elle-même. Chaque fois que nous exprimons notre opinion, nous devrions nous demander si elle est vraiment « nôtre ». Est-ce moi qui pense ainsi ou est-ce mon milieu social, mon cadre professionnel, l’époque dans laquelle je vis ? La réponse n’est pas évidente, mais la question permet à elle seule de prendre une distance par rapport à la logique de l’opinion. Nous pouvons aussi nous demander, pour favoriser la métamorphose de l’opinion en pensée, pourquoi nous tenons tant à notre opinion. Est-ce qu’elle vient couronner un cheminement réflexif ? Ou est-ce qu’à travers elle je cherche encore et toujours à insister sur ce que je « suis », à faire valoir mon identité ou mes « valeurs » ? Dans ce dernier cas, le risque est grand que Platon ait raison. Par l’opinion, nous ne faisons alors que crier ce que nous sommes. Nous avons tellement peur du doute et du vertige identitaire que nous hurlons notre certitude : nous pensons tellement savoir ce que nous sommes que nous ne pensons plus. Et si la philosophie commençait lorsque nous cessons de « crier » ? Lorsque nous comprenons qu’au fond, nous ne savons pas et que nous nous ouvrons enfin à la complexité du réel ? Difficile, au moment où nous en prenons la mesure, de continuer à ne pas douter. « L’opinion ne pense pas », écrit Gaston Bachelard, pour dire que l’esprit scientifique exige lui aussi une rupture avec la logique de l’opinion. 

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