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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Eugène Delacroix, “La Mort de Sardanapale” (détail), 1827. Huile sur toile, 3,92 x 4,96 m. © Erich Lessing/akg-images

La petite question

Que veut dire être indifférent ?

Nicolas Tenaillon publié le 31 mars 2022 4 min

« Rien à faire », « C’est son problème », « Ça ne me concerne pas »… Il y a bien des façons d’exprimer (quand on l’exprime !) son indifférence. À l’âge de l’hyper-individualisme qui recentre tout sur soi et de la sur-information qui sature notre ouverture au monde, cette attitude partout observable et parfois assumée s’analyse pourtant de plusieurs manières. Subie ou choisie, elle dénote un certain rapport aux autres certes critiquable mais qui n’est pas dépourvu de sens. Quatre interprétations des causes de l’indifférence nous permettent de démêler ce qui fait de l’homme moderne autre chose qu’un simple robot insensible…

L’égoïsme ordinaire et… naturel

L’indifférence relève d’abord du principe de conservation de soi. C’est par peur que nous nous recentrons sur nous-même. Mouvement naturel qui nous rapproche de l’animal, lequel n’éprouve guère d’intérêt pour les autres espèces (sauf pour ses prédateurs ou ses proies) et souvent très peu pour la sienne : le troupeau de zèbres regarde l’un des leurs se faire dévorer par un lion sans empathie apparente. Rousseau nous dit dans son Discours sur l’origine de l’inégalité (1755) que l’homme se différencie de l’animal justement par la pitié qu’il éprouve à l’égard des autres lorsqu’ils souffrent, pitié qui tempère son amour de soi. Mais le même Rousseau écrit aussi dans l’Émile (1762) qu’« un être vraiment heureux est un être solitaire », car en société, ce n’est pas la pitié mais l’amour-propre, orgueil méprisant, qui fatalement se substitue à l’amour de soi. Perçu comme une menace potentielle, autrui doit donc être tenu à distance jusqu’à ne plus susciter… qu’un lointain sentiment d’indifférence.

La maladie de l’insensibilité

Autre explication, plus psychologique : celle qui voit dans l’indifférence un manque total de désir. Attitude subie, pathologique, elle se manifeste par deux symptômes majeurs : l’apathie (absence d’affect) et l’asthénie (absence de force). Elle se diagnostiquait jusqu’au début du XXe siècle comme maladie de la « mélancolie ». Difficile à soigner, dangereuse parce qu’elle peut mener au suicide, Freud dut remanier sa conception de l’appareil psychique pour en interpréter l’origine. Dans Au-delà du principe de plaisir (1920), il fait l’hypothèse qu’à côté de la pulsion de vie, de la libido, il existe une tendance profonde de l’appareil psychique à réduire à zéro toute excitation. D’abord appelée « principe de Nirvâna », cette tendance à ne rien désirer est renommée « pulsion de mort » et s’expliquerait par une pente silencieuse qui nous pousserait à revenir à un état dénué de vie. Pessimiste, Freud soutient que « le principe de plaisir semble être au service des pulsions de mort », parce que chaque satisfaction éprouvée est suivie d’une chute d’excitation. Ainsi pour la psychanalyse, l’indifférence est une attitude morbide qui signale que l’Éros ne parvient plus à mener le combat qui fait tout « le bruit de la vie » : le combat contre la mort.

Le choix de n’adhérer à rien

Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’indifférence peut être aussi un choix éthique. C’est ce que pensaient les sceptiques et leur chef de file Pyrrhon d’Élis qui vécut au IVe siècle avant J.-C. Pour ce penseur, la sagesse ne consiste pas à contrôler ses désirs en les hiérarchisant mais à les nier. C’est que, de même qu’il n’y a pas de critère de certitude pour la connaissance, il n’y en a pas pour décider si une chose est bonne ou mauvaise : une chose ne vaut « pas plus » (ou mallon) qu’une autre. L’indifférence (adiaphoria, ἀδιάφορα), principe de non-adhésion à quoi que ce soit, permet alors de traverser l’existence sans que notre âme ne soit jamais troublée – un peu comme ce cochon, aime à rappeler Pyrrhon, qui, transporté dans un bateau, continuait tranquillement à manger sa pâtée sans se soucier de la tempête qui menaçait l’équipage. Au reproche d’inconséquence qu’on faisait au sceptique, ce dernier répondait qu’au contraire, il se sentait libre parce qu’il n’était pas le jouet des illusions : sans opinion, sans inclination, l’indifférent n’est jamais manipulable, toujours maître de lui-même donc sage.

L’extrême tension du détachement

Choisie, l’indifférence peut l’être encore non pour une raison éthique mais métaphysique. C’est alors une attitude existentielle qui se veut cohérente par rapport à une interprétation réaliste et sans concession de notre séjour dans le monde. C’est du moins ce qui ressort de la lecture des œuvres du philosophe et écrivain d’origine roumaine Cioran, et en particulier de son Précis de décomposition (1949). Proche des sceptiques en ce qu’il estime que si « l’homme perd sa faculté d’indifférence », il cédera à sa « puissance d’adorer » et deviendra « assassin virtuel », il s’en distingue par le lien qu’il découvre entre l’indifférence et la vacuité de l’existence. Pour lui, l’indifférence relève d’un regard lucide sur la vie : si « rien ne prouve que nous soyons plus que rien », si avec un peu de recul tout s’égalise, alors pour ne pas céder au nihilisme, il ne reste qu’à adopter un regard sur les autres mi-désabusé mi-ironique, vaguement compatissant pour échapper au cynisme. L’important est dans la juste distance qui permet de ne pas faire trop de cas de soi et des autres pour s’affranchir du devoir d’être quelque chose. Mais cet équilibre subtil où pensée et émotion se neutralisent, exige peut-être trop de nous.

Pas facile d’être indifférent, au fond. Regardez le célèbre tableau d’Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale (1827). Inspiré par un roman de Byron, ce chef-d’œuvre du romantisme illustre l’idée que l’indifférence relève de l’héroïsme. Ne voulant rien laisser à ses ennemis, vaincu, le roi assyrien Sardanapale décide de détruire tout ce qu’il possède : esclaves, femmes, chevaux, or et argent, avant d’embraser son palais et d’y mourir. Le panache le dispute ici à l’insensibilité, sa liberté se faisant terrible et son indifférence sublime.

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