Prendre tarif

« Il n’y a pas que le froid qui commence à piquer ces jours-ci. Les annonces concernant la façon dont les transports en commun seront gérés en Île-de-France pendant la période des Jeux olympiques soufflent également un vent désagréable. La semaine dernière, la maire de Paris Anne Hidalgo a lâché un lapidaire “On ne va pas être prêts” sur le plateau de Quotidien (TMC). Lundi, Île-de-France Mobilités (IDFM) a annoncé la quasi multiplication par deux du prix du ticket de métro le temps des JO, loin de la gratuité proposée dans le dossier de candidature de la Ville de Paris pour les personnes accréditées et détentrices de billets. De quoi susciter l’agacement, voire des appels à la fraude – bien que la hausse des tarifs ne concerne pas les usagers réguliers des transports.

Il y a des prix-baromètres dont la hausse a le don de faire tiquer plus que d’autres : la baguette de pain, l’essence et le ticket de métro, notamment. Ils font partie de ces dépenses sur lesquelles il est difficile, voire impossible de rogner ; leur augmentation représente donc à la fois un symbole et une contrainte réelle sur un budget. Certes, les annonces récentes de la régie des transports en Île-de-France ne concernent pas les détenteurs de passes Navigo, soit les usagers les plus réguliers. Mais sur les réseaux sociaux, certains d’entre eux n’ont pas manqué de rappeler les dernières augmentations de tarif, portant ledit passe de 84,10 euros par mois depuis janvier 2023 à 86,40 euros à partir de janvier 2024. Dans le même temps, quasi mécaniquement, la fraude augmente, et les moyens de lutter contre se resserrent, avec la possibilité désormais pour les contrôleurs d’obtenir en temps réel de l’administration fiscale les noms et adresses des fraudeurs.

Longtemps, j’ai resquillé. À l’époque, faire du vélo dans Paris me paraissait aussi hasardeux que croiser Rachida Dati dans le métro, et je ne remplissais plus les conditions pour avoir droit au tarif étudiant. J’étais pigiste, avec des contrats précaires – exit donc le remboursement obligatoire du passe par l’employeur à hauteur de 50%. À cette époque aussi, économiser environ 70 euros par mois était énorme ; j’ai donc décidé de prendre le risque, et ce pendant trois ans. Je m’arrangeais pour avoir toujours des tickets non validés dans la poche (le tarif de l’amende était alors moins sévère, ce qui a changé depuis), et je priais pour ma bonne étoile. Je jouais aussi sur le fait de ne pas avoir la tête du “fraudeur type”. Après m’avoir surprise à sauter un portique, une ancienne collègue de Radio France, où j’alignais les CDD, m’avait confié son étonnement et son amusement à voir une jeune femme en petit caban et talons hauts s’adonner avec un naturel déconcertant à cet exercice, qui était alors devenu une gymnastique quotidienne. Évidemment, il m’est arrivé de me faire attraper. Mais franchement, pas de quoi me dissuader. J’ai fini par franchir le pas du vélo, il y a presque huit ans maintenant.

Oui, je sais, c’est mal. Les fraudeurs sont des parasites qui profitent du fait que d’autres paient civiquement, entend-on régulièrement. C’est injuste. Et pourtant, pour être honnête, je n’ai jamais ressenti une énorme culpabilité. Quand Blaise Pascal jette les bases des transports en commun avec la mise en place des carrosses publics à cinq sols en 1662, en collaboration avec le duc de Roannez, l’une des conditions est un tarif modique. Il s’agit en effet de permettre “aux petites gens” de “leur procurer les mêmes commodités qu’aux riches” (la location d’un fiacre coûtait alors 2000 sols pour la journée), comme le promet l’affiche de promotion des carrosses, rédigée par Pascal et placardée sur les murs de la ville. L’entreprise est un succès, mais des difficultés contraignent à augmenter le tarif de la course à six sols. De quoi décourager les usagers qui s’en détournent, au point que l’affaire de Pascal et du duc de Roannez fait faillite en 1691. Se détourner des services de la RATP est désormais difficile, voire impossible pour les Franciliens. Il ne faut donc pas s’étonner que certains d’entre eux choisissent de lever les genoux plutôt que de courber l’échine. »

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