“Pourquoi tant de haine ?”

publié le 3 min

Question de Jeanne Da Costa.

Réponse de Charles Pépin

Les animaux se contentent d’être agressifs, alors que, nous, nous sommes capables de haine, de rester fixés de manière névrotique et tenace sur l’objet de notre détestation, auquel paradoxalement nous tenons plus que tout. Pourquoi ? Peut-être parce que nous avons refoulé, pour devenir des hommes, cette agressivité naturelle qui fait retour sous une autre forme. La haine, c’est la métamorphose de l’agressivité animale en une passion tristement humaine. C’est, écrit Spinoza, « la tristesse qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ». Lorsque je ne supporte pas la diminution de ma puissance d’exister, ma tristesse donc, et que je l’associe à un ou à des autres, aux étrangers par exemple, alors je commence à les haïr. Peu importe que les étrangers soient ou non la cause réelle de la diminution de ma puissance, je les hais dès lors que je me représente, que j’imagine ou que je fantasme leur relation à ma tristesse, à ma souffrance. C’est pourquoi il faut être humain pour haïr : être capable de ces représentations ou de ces fantasmes, et même sombrer dedans jusqu’à devenir sourd aux arguments, aveugle au réel lui-même. S’il y a tant de haine, c’est que nous souffrons trop et sommes capables d’imaginer n’importe quelle cause à notre souffrance. Bien sûr, autrui a pu nous offenser réellement, mais si nous nous mettons à le haïr, au lieu de simplement l’agresser, le mépriser ou le fuir, nous nous enfermons nous-mêmes dans la prison de la haine et, finalement, nous condamnons à n’en jamais sortir, comme si nous avions aussi de la haine pour nous-mêmes. Est-ce parce que nous nous haïssons de sentir en nous une telle haine ? Achille a beau avoir tué Hector, il traîne son cadavre derrière son char sans que cela l’apaise le moins du monde.

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Une dissertation n’est ni un journal intime, ni une restitution de cours. Pour éviter le hors-sujet, il faut savoir approcher l’énoncé et formuler une bonne problématique. 
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