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Vie quotidienne

Pourquoi l’insomnie nous rend fous, selon Levinas

Ariane Nicolas publié le 16 avril 2021 3 min

Vous aussi, vous avez perdu le sommeil ? Depuis le début de la pandémie, les troubles du sommeil ont largement augmenté au sein de la société. Parmi ces difficultés à retrouver des nuits tranquilles, la plus terrible est sans doute l’insomnie. Sensation insupportable d’être éveillé sans aucune raison (et en dépit de la souffrance que cela va générer durant la journée), l’insomnie est un état de vigilance qui paraît inutile et absurde. Dans ses écrits, et notamment dans Le Temps et l’autre (1979), Emmanuel Levinas s’est intéressé à l’insomnie. Il y voit bien plus qu’un décalage par rapport aux cycles du sommeil permettant de régénérer le corps : l’insomnie est surtout un mal-être métaphysique, qui révèle la structure de notre identité profonde et le caractère tragique de l’existence. Explications. 

 

  • Dans son petit livre Le Temps et l’autre, Levinas livre sa conception de l’être et de sa structure fondamentale. Selon lui, l’être est comme double. Il existe d’abord une trame impersonnelle de l’être, quelque chose qui est sans autre nécessité que le simple fait d’apparaître au monde : ce mode d’existence, c’est ce qu’il appelle un simple « Il y a ». À partir de cette forme d’être tout à fait neutre et non caractérisée, qui serait comme les cordes blanches d’un métier à tisser, vient se greffer une existence qui a, elle, une identité et une subjectivité propres : ce serait comme les fils colorés qui viennent s’enrouler autour du métier à tisser. Le premier mode d’être, l’être impersonnel, il le nomme « l’existence » ; le second, l’être incarné, subjectif et habité, « l’existant ».
  • Contrairement à ce que nous pensons, nous ne sommes pas en permanence présents au monde sur le mode actif de « l’existant ». Il nous arrive parfois de revenir, malgré nous, à un mode impersonnel, comme si nous étions privés de notre relation avec le monde extérieur. L’insomnie est l’une des situations typiques de ce gouffre qui se scinde entre « l’existence » et « l’existant ». La conscience est alors dépersonnalisée, et le sujet se retrouve dans une sorte de vortex infernal où il n’a plus prise sur rien : « L’insomnie est faite de la conscience que cela ne finira jamais, c’est-à dire qu’il n’y a aucun moyen de se retirer de la vigilance à laquelle on est tenu, écrit Levinas. Cet exister n’est pas un en-soi, lequel est déjà la paix. Il est précisément l’absence de tout soi, un sans soi. » Dans la veille, on ne dit plus « Je ». Ce n’est pas moi qui veille : « ça » veille. La sensation est d’autant plus horripilante que le temps semble arrêté : il n’y a plus ni passé, ni avenir, mais un présent interminable d’où aucune nouveauté ne semble plus pouvoir surgir.
  • L’insomnie révèle en creux l’horreur que peut constituer le fait d’exister. Privé de subjectivité, mais toujours en état d’alerte, nous faisons l’expérience de ce qu’est l’être à l’état pur, en quelque sorte. Et c’est terriblement angoissant, car cette existence impersonnelle nous met face à une vérité tragique : « L’immortalité à laquelle on ne peut échapper. » Levinas renverse l’idée de Heidegger selon laquelle le néant serait la hantise absolue, et l’être, l’idéal. Il y a du tragique dans l’être aussi, car il ne finit jamais, il est inéluctable. Nous sommes captifs de l’existence. Même le suicide ne parvient pas à nous confronter au néant ; nous ne pouvons qu’avoir conscience de la vie. Et cette vie peut être fatigante, insupportable. « Être, c’est avoir à être et à faire. » Ce qui n’est pas chose aisée, particulièrement dans des moments de crise où l’avenir est plus que jamais incertain. 
  • De façon assez originale, Levinas valorise ainsi l’activité du sommeil. Pour de nombreux philosophes en effet (comme Nietzsche), le sommeil est synonyme de passivité, de perte de temps ou, de façon métaphorique, de conformisme social (dans Ainsi parlait Zarathoustra, les professeurs de vertu enseignent que la morale consiste à ne pas faire ce qui nous empêcherait de bien dormir). La vie ne saurait être appréciée selon ce critère mollasson. Pour Levinas, au contraire, c’est un prérequis : « La conscience est le pouvoir de dormir. » Le sommeil n’est pas une béance de l’être, mais un refuge qui permet au sujet de se retirer véritablement du monde pour mieux s’y retrouver le lendemain. Dans le sommeil, et notamment dans le rêve, nous sommes certes ailleurs – mais nous sommes vraiment nous, au sens où nous possédons une « existence privée ». Une leçon à méditer, la prochaine fois que vous compterez les moutons !
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