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Quotidien

Pourquoi laisse-t-on des pourboires au café ?

Victorine de Oliveira publié le 10 juillet 2021 4 min

« L’addition s’il vous plaît ! » : c’est l’une des petites phrases que nous avons le plaisir de prononcer à nouveau depuis la réouverture des bars et des restaurants le 19 mai dernier. Rien de plus simple, en apparence. On paye ce que l’on doit, les tarifs sont affichés sur la carte, il n’y a pas de mystère. Pourtant, il est d’usage de laisser un petit quelque chose en plus : le pourboire. Contrairement aux Etats-Unis, où la pratique est extrêmement codifiée et correspond au service qui n’est pas compris dans les tarifs, soit 20 % environ de l’addition, la France est plus souple – parce que ses serveurs ont de toute façon l’assurance d’être payés quoi qu’il arrive. Le client a l’entière appréciation du pourboire et peut même décider de ne pas en laisser du tout. 

Qu’est-ce qui nous motive quand nous consentons à payer davantage que ce que nous devons ? La pure générosité ? La culpabilité ? La peur de passer pour une pince ? Réponse avec Marcel Mauss, François de La Rochefoucauld et Friedrich Nietzsche. 

 

Le « pourboire-récompense »

C’est celui que l’on donne lorsque l’on est particulièrement satisfait du service, que nous souhaitons marquer par une petite attention la prévenance, la gentillesse et l’efficacité dont on a été l’objet. Mais attention, c’est un don qui engage celui qui le reçoit : certes, il marque une prestation passée, mais il implique sa répétition dans le cas où vous revenez dîner dans le même restaurant. Sinon, plus de pourboire, voire même plus de client. Ce type de pourboire s’inscrit dans la théorie du don de l’anthropologue Marcel Mauss, qui, dans son Essai sur le don (1924) analyse les enjeux d’une pratique ancienne qui n’a rien de désintéressé. Le don est à la fois une façon de créer du lien mais aussi d’obliger l’autre. Et la frontière est mince entre le « don non agonistique », celui qui se contente d’entretenir de bonnes relations entre groupes sociaux, et le « don agonistique », qui nourrit une forme de rivalité et peut donner lieu à la surenchère. Comment ? Tout simplement parce que si je te donne cela, tu vas chercher à briller en me donnant à ton tour quelque chose de plus exceptionnel, de plus remarquable. C’est un don qui affirme la supériorité du donateur sur celui qui le reçoit. Soit une façon de rappeler au serveur qu’il reste à votre service. 

 

Le « pourboire coupable »

Il est reconnaissable entre mille : c’est celui qui s’éparpille en quelques maigres pièces cuivrées sur la table. On n’a pas voulu ramasser les 35 centimes rendus par le serveur, mais on n’allongera rien de plus. C’est le compromis entre « ça se fait de laisser un petit quelque chose » et « l’addition, c’est l’addition… De toute façon, les serveurs sont payés, je ne vois vraiment pas pourquoi je devrais ajouter 2 euros alors que ce n’est écrit nulle part ». Tout membre de la noblesse qu’il est, le duc de La Rochefoucauld pourrait défendre une telle pingrerie qui ne s’assume pas complètement. « Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude que celui qui lui a fait du bien », remarque-t-il dans son recueil de Maximes. Manière de pointer, avec sa cruauté habituelle, que l’attention du serveur, celui qui a « fait du bien », n’était peut-être pas si désintéressée que cela. Que vaut une largesse qui en appelle une autre en retour ? Rien, répond La Rochefoucauld. Ce qui ne l’empêche pas de nous mettre dans une situation embarrassante. Car La Rochefoucauld ne décharge pas l’ingrat de toute culpabilité. Il écrit juste qu’il est moins coupable… 

 

Le « pourboire dionysiaque »

Il arrive que le pourboire corresponde à une somme si extravagante et dépasse toute mesure qu’on peut imaginer qu’il n’est plus question de rétribuer quelqu’un. On a tous ce genre d’ami qui pose un billet quasiment équivalent à l’addition, d’un geste théâtral. On trouve qu’il exagère un peu, mais on l’admire d’autant plus que ce n’est pas forcément le plus riche de la table. En général, ça met tout le monde de bonne humeur, voire ça relance une tournée offerte par le patron. Cette dépense inconsidérée, ajoutée à une première plus encadrée, vise davantage à marquer un bon moment, festif, qu’à marquer un statut de supériorité. Certes, il y a un côté « j’épate la galerie ». Mais après tout, la fête est aussi un moment où l’on peut rivaliser d’extravagance. Elle est le lieu de la pulsion dionysiaque que Friedrich Nietzsche observe dans La Naissance de la tragédie (1872), celle qui pousse à l’ivresse, au désordre, à l’excès. Nietzsche la décrit dans une langue poétique et exaltée : « Sous l’influence du sortilège dionysiaque, ce n’est pas seulement le lien d’homme à homme qui se renoue : c’est aussi la nature qui, après lui être devenue étrangère, hostile, ou lui avoir été assujettie, fête à nouveau sa réconciliation avec son fils perdu, l’homme. La terre dispense librement ses dons, et les bêtes de proie des rochers et du désert se rapprochent pacifiquement. » Dans sa version dionysiaque, le pourboire revient donc à son origine : la boisson ! Qui n’est plus uniquement destinée au serveur que l’on souhaitait récompenser, mais convivialement partagée. 

 

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