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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Linda Yolanda/iStockphoto

La petite question

Pourquoi avons-nous des chansons dans la tête ?

Samuel Lacroix publié le 17 novembre 2023 6 min

Il est fort à parier que vous ayez déjà eu, régulièrement ou non, des airs coincés dans votre tête. Comment se fait-il qu’à côté des images et idées qui peuplent notre crâne, des chansons puissent ainsi surgir et s’installer de façon si durable et irrésistible ? Tentative de réponse à l’aide de la psychologie, de la neurologie… et de la philosophie !


 

« La-la-la, la-la-la-la-la / La-la-la, la-la-la-la-la / I just can’t get you out of my head… » En principe, lire ces quelques mots a suffi à vous mettre dans la tête le si bien nommé Can’t Get You Out of my Head, ce morceau de bravoure offert au monde en 2001 par la chanteuse australienne Kylie Minogue. Cela pourra durer seulement un instant, mais aussi potentiellement des heures, des jours, voire des semaines (désolé si c’est le cas !). Comment expliquer que des morceaux comme celui-ci puissent durablement s’installer dans nos têtes, comme de diaboliques rengaines dont on ne parvient pas, malgré tous nos efforts et notre bonne volonté, à se défaire ?

Des raisons mécaniques

À première vue, on peut facilement créer de toutes pièces ce que le neurologue britannique Oliver Sacks appelle des « vers auditifs » (Musicophilia. La musique, le cerveau et nous, 2009), une expression devenue courante aujourd’hui en Allemagne (Ohrwurm) et dans les pays anglophones (earworm) pour désigner ces mélodies dont on ne parvient pas à se défaire. On peut les faire naître par association d’idées, en balançant à son interlocuteur quelques simples mots accolés (« terre brûlée », « bancs publics ») ou des bouts de phrases (« tout est chaos », « on a soif d’idéal », « les sirènes du port d’Alexandrie ») qui vont immanquablement lui évoquer les mélodies dont ils sont issus et les lui mettre en tête. Plus qu’une simple association d’idées, on joue dans le second cas sur ce que les spécialistes appellent « l’effet Zeigarnik », du nom de la psychologue russe Bljuma Zeigarnik, qui a établi la tendance que nous avons à davantage nous souvenir d’une tâche inachevée. N’entendre que des bribes de chansons nous donnerait l’envie de terminer le travail en esprit – d’où l’un des potentiels remèdes souvent indiqués au ver d’oreille… qui est d’écouter le morceau en entier.

Mais on peut aussi aller au plus simple, en chantant directement la mélopée infernale à notre pauvre ami ! Ceci à la condition de savoir que ce morceau est bien susceptible de hanter son âme. D’où pourrait bien nous venir une telle assurance ? À en croire les recherches récentes en psychologie et neurologie sur le sujet, si certains titres nous restent en tête, c’est peut-être d’abord en vertu de leur structure. Certains sont quasiment, pour ainsi dire, faits pour cela. Ainsi en va-t-il de quelques « tubes » particulièrement efficaces, qui combinent plusieurs caractéristiques spécifiques. D’après Kelly Jakubowski, psychologue à l’université de Durham en Angleterre, qui a mené une enquête auprès de 3000 participants en 2015, un morceau sera plus susceptible de rester dans la tête de son auditeur si sa mélodie est générique et aisément prévisible, avec des paroles répétitives, faciles à chanter et un peu décalées, si ses notes s’enchaînent avec un intervalle important entre elles, et si son tempo est plus rapide que la moyenne.

Des bandes-son de nos existences

Ceci établi, il arrive parfois qu’au-delà de l’écoute immédiate et du ressouvenir qui s’ensuit, certaines compositions se réinvitent plus ou moins régulièrement hors de tout contexte d’écoute. Or, il suffit d’interroger les personnes autour de nous pour constater qu’elles n’ont pas toutes la même bête noire musiclae. Nous aurions chacun plus ou moins notre ritournelle à nous, différant en fonction de notre vécu ou notre humeur du moment. C’est là un point qu’a développé le philosophe et musicologue Peter Szendy dans son ouvrage Tubes. La philosophie dans le juke-box (Minuit, 2008), dans lequel il relève la propension du tube au brouillage de la frontière privé/public. La chanson-tube, aussi banale et surtout commune soit-elle, a toujours été entendue et est toujours réinvoquée dans un contexte bien précis de la vie de l’auditeur. Généralement, si celui-ci l’a en tête, c’est que, de façon plus ou moins consciente, elle lui évoque quelque chose, elle lui est a minima signifiante. De fait, écrit Szendy, « il y a là une sorte d’inthymnité, une intimité hymnique ». Une telle chanson, précise-t-il, est « un hymne intime, une sorte de Marseillaise de la psyché, irrépressible, compulsive, impossible à arrêter ». Familiers, ces hymnes nous disent quelque chose de nous. S’ils reviennent « en nous, malgré nous », c’est pour « parler de nous », et nous faire « même accéder à nous ». Un peu comme le rêve, le lapsus ou l’acte manqué en psychanalyse, le ver d’oreille pourrait s’apparenter à quelque chose qui échappe un instant à la vigilance de notre « censure » (celle en vertu de laquelle, explique Szendy, « le plus souvent, nous ne comprenons pas, nous ne voulons pas comprendre ce qu’ils disent, ce qu’ils racontent »), comme un retour du refoulé freudien intervenant lorsque nous sommes un peu relâchés, flottants, peu concentrés sur une autre tâche. Resterait à faire le travail d’analyse nécessaire pour établir ce dont il est question : votre analyste aurait par exemple tôt fait de subodorer que ce morceau de Laurent Voulzy écouté tout un été sur la route des vacances avec votre père cherche à vous faire passer un message sur ledit père, ou que le retour constant du morceau S&M de Rihanna en votre âme dit quelque chose de vos fantasmes inavouables…

Rendre la durée sonore

Mais pourquoi ce passage par la musique ? Comment expliquer que notre esprit, souvent plutôt peuplé d’images et d’idées, convoque ce médium, et plus spécifiquement dans les moments où il est un peu flottant ? Il y a là quelque chose à penser, afin d’expliquer un peu plus le pourquoi du comment esquissé plus haut. On l’a vu, les compositions musicales s’imposent à nous du fait de mécanismes que nous parvenons désormais à établir de plus en plus clairement. Mais à un niveau plus fondamental, ce geste de rejouer des airs in petto dans des ritournelles singulières semble dire quelque chose de notre appropriation de l’espace et du temps. Mobiliser ses « hymnes » dans des moments de divagation ou de dispersion, n’est-ce pas aussi une manière de s’approprier une situation donnée en lui injectant une dose de familiarité ? C’est une idée sur laquelle s’arrêtent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans le chapitre qu’ils consacrent au motif de la ritournelle dans Mille Plateaux (Minuit, 1980). À leurs yeux, invoquer une ritournelle serait comme une façon de « domestiquer » ou de « territorialiser », dans leur langage, l’endroit et le contexte dans lequel on se trouve pris. Si notre ritournelle intervient plus particulièrement à des instants où l’on est moins affairé, moins occupé par une tâche, ce serait aussi une manière de symboliser notre ressenti vis-à-vis du passage du temps qui s’écoule, amené à se dilater dans le flottement qui est le nôtre, se faisant durée au sens bergsonien du terme : « La musique, écrivent les deux auteurs, molécularise la matière sonore, mais devient capable ainsi de capter des forces non sonores comme la Durée, l’Intensité. Rendre la Durée sonore. Rappelons-nous l’idée de Nietzsche : l’éternel retour comme petite rengaine, comme ritournelle, mais qui capture les forces muettes et impensables du Cosmos. » En marmonnant une chanson familière, encore et encore, on passe le temps en même temps qu’on s’en empare et le matérialise. On donne à percevoir de manière sonore que quelque chose s’écoule et suit son cours qui, comme dans la chanson de Claude François, s’en va et puis revient. Et chanter ce mouvement paraît revenir, à l’instar du surhomme nietzschéen confronté à la perspective de l’Éternel Retour, à l’accepter, y consentir. Ceci, semble-t-il, en accord direct avec le « pouvoir affirmatif » de la musique décelé par Santiago Espinosa et Clément Rosset dans L’Inexpressif musical. Question sans réponse (Encre marine, 2013), un essai dans lequel les deux auteurs font de cet art celui qui est par excellence capable de nous offrir l’« intuition de l’approbation du réel ». Après tout, ne fait-on pas en rythme « oui » de la tête lorsqu’on écoute ou se remémore un titre que l’on apprécie ?

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