Pop, la bande-son de l’utopie
La pop, un genre mineur car plaisant au plus grand nombre ? Pas si vite, réplique la philosophe et musicienne Agnès Gayraud. Cette musique “populaire” peut être inventive, voire revendicative, soutient-elle ici, playlist à l’appui. À vos platines !
« Depuis l’enfance, j’ai un amour viscéral pour les chansons, celles qui passaient à la radio ou celles que me chantait ma mère, d’origine andalouse, dans sa langue. J’ai moi-même composé très tôt. Vers l’âge de 6 ans, j’ai le souvenir d’associer paroles et mélodies, en m’efforçant de les mémoriser ; puis, un ou deux ans après, j’ai commencé à me servir de deux petits enregistreurs-cassette – dont l’un avait un design très enfantin, avec de grosses touches colorées. Mon intérêt pour la philosophie est venu plus tard, à l’adolescence. J’ai fini par écrire une thèse sur Adorno, ennemi juré de ce qu’il appelait la “musique populaire légère”. Mais je n’ai pas abandonné pour autant la création et m’investis dans mon groupe La Féline. Un moment, il fallait bien que je résolve, ou tout du moins exprime cette condition devenue schizophrénique, entre la musique et la philosophie !
Dans Dialectique de la pop, mon ambition est d’aborder la pop comme art musical spécifique, et Adorno y joue le rôle de l’avocat du diable permanent. La pop, au sens où je l’entends, correspond à ce que les Anglo-Saxons appellent la popular music. Et cette “musique populaire” englobe des genres très différents : non seulement la pop à proprement parler (les Beatles, par exemple), mais aussi la country, le reggae, la chanson française, la techno, le heavy metal, le rap… Qu’est-ce qui rassemble tous ces types de musique ? Il faut pour cela, me semble-t-il, définir la pop comme forme. Cette forme combine deux aspects, deux critères. Le premier trait fondamental est celui de l’enregistrement : quand nous apprécions un morceau de pop, nous ne nous intéressons pas seulement à la suite d’accords dont il est fait, encore moins à sa notation écrite, mais à tout ce que donne à entendre l’enregistrement fixé – les inflexions de l’interprétation, les partis pris de mixage, les sons audibles, comme on observerait autant de détails picturaux dans un tableau. L’enregistrement n’est pas seulement le véhicule de la musique, mais la condition même de sa production artistique.
Toutefois, l’enregistrement n’est pas une condition suffisante pour cerner la forme pop. Il est nécessaire d’ajouter une dimension proprement esthétique et politique, une dimension reliée justement à l’adjectif “populaire”. La forme pop se caractérise par un idéal de popularité. Cet idéal désigne une certaine idée de la musique comme capable de rassembler les auditeurs, de les émouvoir, qu’ils soient ou non initiés. C’est pratiquement une promesse d’ordre anthropologique. Cette promesse peut paraître idéaliste, mais elle me semble survivre à travers toute l’histoire de la pop, où le véritable hit apparaît comme un Graal esthétique : je ne connais pas de compositeur de pop qui ne se rapporte avec admiration à des chansons à la fois jugées comme des chefs-d’œuvre et devenues d’immenses succès. Ainsi la pop est portée par cette “utopie de la popularité”, dans laquelle art accompli et plébiscite pourraient enfin se réconcilier. »
Clarence « Tom » Ashley et Gwen Foster / House of the Rising Sun / 1933
Le folklore déraciné
« À l’origine, il s’agit d’une chanson traditionnelle, due à un auteur inconnu. Évoquant une maison dont on ignore la nature exacte – maison close, débit de boissons, établissement de jeu, voire prison… les avis divergent –, elle a été composée et transmise oralement bien avant l’invention de la phonographie. Il existe même des hypothèses sur une possible origine coloniale française de ce standard… L’art des chansons est une forme plus ancienne que celui de la pop. Mais avec celle-ci, justement, on bascule dans une nouvelle ère : à présent les morceaux sont enregistrés. C’est ce qui se passe avec House of the Rising Sun : ce titre a été enregistré pour la première fois par le folkloriste américain John Lomax et son fils Alan. Plus tard, en 1964, le morceau a été repris par le groupe anglais The Animals, puis adapté par Johnny Hallyday dans Le Pénitencier. Avec l’enregistrement, ce n’est plus une unique chanson qui circule, mais diverses œuvres l’interprétant, chacune très différente dans ses qualités musicales et expressives. De manière générale, nous tenons là une première dialectique possible de la pop : les morceaux qui relèvent de ce genre sont souvent enracinés dans une tradition (ici le folklore) ; et pourtant, avec l’enregistrement et la diffusion à la radio ou sur disques, ils sont voués à être déracinés, “déterritorialisés” (comme dirait Deleuze), à quitter leur terre d’origine. »
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