Pleins feux sur le noir

« Soleils noirs » : cet oxymore tient lieu de fil rouge pour l’exposition présentée au Louvre-Lens. En suivant une progression à la fois thématique et chronologique, le parcours offre un regard sur l’usage paradoxal du noir dans l’art. Car le noir pour l’artiste n’est pas naturel : que peint-on lorsqu’on peint l’obscurité ? Que voit-on dans l’ombre et qu’éclairent donc les ténèbres ? Pour répondre à ces questions, le musée a réuni une collection de chefs-d’œuvre classiques et contemporains, des nocturnes romantiques jusqu’aux monochromes de Pierre Soulages, répartis autour d’explorations successives – la couleur comme phénomène, sa dimension sacrée ou sociale… Malgré cet éclatement thématique, qui manque de cohérence et d’une unité narrative, une idée apparaît pourtant à force de faire varier les œuvres : le noir n’est pas qu’une couleur utilisée de façon plus ou moins paradoxale ou subversive au cours de l’histoire de l’art. Il est un principe de contradiction donnant une épaisseur, une dimension vibratoire à la création elle-même. Le Ruisseau du Puits-Noir (photo) de Gustave Courbet en témoigne : avant de peindre ce tableau, à partir d’un motif qu’il reproduira une quinzaine de fois, inspiré par un lieu-dit familier, le peintre enduit la toile d’une matière bitumineuse noire qui reste au centre de la composition, comme la source de toutes les couleurs, une noirceur dont jaillit la lumière. Gaston Bachelard parle lui de « ténèbres substantielles » dans son essai sur l’imagination de la matière, L’Eau et les Rêves (1942). Le philosophe y distingue l’imagination « formelle », celle qui nous fait concevoir des formes, de « vaines images », comme dans le rêve nocturne, et l’imagination « matérielle », qui suscite « des images directes de la matière ». C’est à celle-ci qu’il s’intéresse spécifiquement. Pour y accéder, il s’agit de « détacher tous les suffixes de la beauté, s’évertuer à trouver, derrière les images qui se montrent, les images qui se cachent, aller à la racine même de la force imaginante ». Pour Bachelard comme pour Courbet, l’eau est ainsi une « matière ténébreuse », « un néant substantiel », fondamentalement ambivalent. Nourricière, elle est aussi mortifère lorsqu’elle s’assombrit. La fin de l’exposition invite à une rêverie matérielle similaire, sur le feu cette fois-ci, en présentant un tableau de l’artiste contemporain sud-coréen Lee Bae, composé d’une remarquable marqueterie de charbons de bois : noir comme le fusain, il s’illumine de reflets blancs et intensément lumineux à mesure que le regardeur se déplace.

Soleils noirs / Musée du Louvre-Lens (99, rue Paul-Bert, 62300 Lens) / Jusqu’au 25 janvier 2021