Pierre Lepère, le poète vagabond, mort “en pleine écriture de la vie”
Alors que ce poète mal connu à l’œuvre foisonnante s’est éteint samedi dernier, à l’âge de 78 ans, notre confrère Alexandre Lacroix qui l’a bien connu, publié et admiré, revient sur son itinéraire et son œuvre. Et nous propose de relire un de ses derniers poèmes, en forme de testament, écrit alors qu’il avait cessé de s’alimenter.
Il laisse derrière lui de nombreux recueils de poésie, romans, essais… Dans son œuvre foisonnante, j’ai une affection particulière pour L’Étoile absinthe (Verticales, 1997), une biographie romancée de Paul Verlaine dans laquelle Pierre s’est projeté, et pour des recueils plus récents publiés aux éditions de La Différence, Cœur citadelle (2008) et Le Locataire de nulle part (2013). Pierre Lepère a également signé une étonnante histoire parallèle de la littérature française, L’Âge du furieux. Une légende dorée de l’excès en littérature (1532-1859) (Hatier, 1994, rééd. La Différence 2006), où il fait le portrait de beaucoup de poètes et romanciers qui ont occupé le même statut que lui, c’est-à-dire des marginaux, des fantasques, des inclassables et des obscurs, habités par le feu de la création. Des indomptés. Des irréconciliés.
C’est que Pierre n’a pas eu une vie comme les autres. Né en 1944, étudiant à l’École normale des instituteurs, où il a eu comme professeur Philippe Léotard, il a un beau jour claqué la porte de sa thurne pour déménager à la cloche de bois. Il a vécu pendant des années en vagabond, jouant de l’harmonica aux terrasses des cafés, dormant dans le chantier de la gare Montparnasse en construction. Ces expériences sont constamment transposées dans ses poésies, notamment dans l’un de ses premiers recueils, L’Imprévu de tout désir (Gallimard, 1990). Mais aussi dans Fragile Paradis (Berg international, 2002), un roman que j’ai publié dans une collection que j’ai co-dirigée de façon éphémère, « Monde à part ». Il a aussi apporté son témoignage sur la rue dans un dossier déjà ancien de Philosophie magazine. À cela s’ajoute une présence fantôme : il avait une sœur jumelle qui est morte à leur naissance, et il s’est constamment senti hanté par elle, ses vers l’invoquent souvent à mots couverts.
Pierre, que j’ai rencontré en 1993 dans une librairie en haut de la rue de la Roquette, est le premier écrivain publié dont j’ai fait la connaissance. Nous avons entretenu une longue amitié, ainsi qu’un compagnonnage intellectuel. Il m’a fait découvrir énormément d’auteurs méconnus, Emmanuel Bove, Raymond Guérin, André Hardellet… Avec lui, la littérature était une aventure vivante et débordante d’énergie et de désir, rien à voir avec le Lagarde et Michard. D’ailleurs, Pierre avait la passion communicative : sa fille, Julia Lepère, a publié l’an dernier un recueil éblouissant dans la collection « Poésie » de Flammarion, Par elle se blesse.
Sur son compte Facebook, en août dernier, Pierre a publié ce poème testamentaire, alors qu’il avait cessé de manger depuis plusieurs jours. Voici ce beau texte, que je vous propose de relire ou de découvrir aujourd’hui, en sa mémoire.
J’aimerais mourir
En pleine écriture
Au milieu d’un vers
Juste à la césure
J’aimerais mourir
Sans qu’une rature
Ne vienne abolir
D’un dernier revers
Mes appogiatures
J’aimerais mourir
En tenant la main
De mon seul amour
Moi qui ai connu
Tant d’ombres factices
Et tant d’Eurydices
Quand j’étais Orphée
J’aimerais mourir
Mes yeux dans les siens
Qui sont d’améthyste
Y lire transi
Qu’elle me pardonne
De n’être que moi
Qui me voudrais roi
Quand je suis piétaille
J’aimerais mourir
Sans pitié sans honte
À l’ombre d’un mot
Que je n’ai pas dit
Un verbe maudit
Au bout de la langue
Qui m’emportera
Comme un boomerang
Vers le cœur de cible
D’un songe indicible
J’aimerais mourir
En aimant la vie
Pierre Lepère, 2023
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