Vos questions

Peut-on donner ce que l’on n’a pas ?

publié le 3 min

Je pensais, par exemple, à la confiance en soi, à une forme d’apaisement intérieur. Je suis toujours très surprise des remerciements que l’on reçoit, parfois, de la part d’amis qui pensent que par des mots, une attitude, on vient de leur faire ce cadeau... Corinne Bonnassieux, 37 ans, Paris

Très belle question, très belle idée : être capable de donner à autrui cette confiance dont on manque soi-même, savoir rassurer l’autre sans se libérer pour autant de sa propre inquiétude, être de bon conseil alors même que l’on est bien incapable de diriger sa propre vie… Nous connaissons tous cela, si bien résumé par Nietzsche : « Plus d’un qui ne peut se libérer de ses propres chaînes a su néanmoins en libérer son ami. » Mais cela signifie-t-il vraiment que nous donnons « ce que nous n’avons pas » ? Je ne le crois pas, car ce dont il s’agit ici n’est pas de l’ordre de l’avoir mais de l’être. Ce n’est pas vous, inquiète, qui parvenez à donner de l’apaisement à votre ami comme on lui donnerait un cadeau : c’est la relation que vous instaurez avec lui qui a le pouvoir de l’apaiser. C’est l’« être ensemble » que vous savez créer qui a le pouvoir d’apaiser votre ami, non quelque chose que vous auriez, ou n’auriez pas, et que vous lui donneriez. Ce que vous offrez à votre ami, c’est une qualité de présence, d’écoute et de lien, et c’est notamment ce qu’Aristote voulait dire en définissant l’ami comme « celui qui nous rend meilleur ». Ce qui nous rend meilleurs, ce n’est pas lui : c’est la relation que nous avons avec lui. Giorgio Agamben, commentant Aristote dans L’Amitié, définit l’ami comme celui avec qui nous partageons « la douceur même d’exister ». L’ami, c’est celui qui rend ma vie plus douce. Toutefois, il ne « m’apporte » aucune douceur : c’est ensemble, grâce à ce lien et cette présence, que nous pouvons mieux sentir la douceur même d’exister. Voilà pourquoi, lorsque nous téléphonons à un ami pour lui faire part d’un tourment qui nous agite, nous sommes rassurés alors même qu’il ne nous a rien dit de rassurant, n’a pas apporté de réponse à notre question. C’est que nous avons simplement retrouvé la chaleur de ce lien, de ces ondes, cette vibration particulière, la chaleur même de la vie ensemble. Probablement, chère Corinne, est-ce justement parce que vous êtes inquiète que vous avez ce talent, et ce besoin, d’instaurer avec votre ami cet « être ensemble » qui vous fera, à tous les deux, tant de bien. N’ayez donc pas peur d’accepter ses remerciements, et surtout : remerciez-le vous aussi.

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