“Ouistreham” : sur le pont
En adaptant pour le grand écran Le Quai de Ouistreham, livre d’enquête en immersion de la journaliste Florence Aubenas, Emmanuel Carrère se demande si l’on peut témoigner de ce que l’on a pas vécu. Une réussite à voir au cinéma dès le 12 janvier.
Où est la vérité dans le récit ? En réalisant ce film d’après le récit Florence Aubenas – Le Quai de Ouistreham (L’Olivier, 2010) –, Emmanuel Carrère redouble la question déjà posée par la journaliste dans ses reportages et par lui-même dans ses romans. Peut-on témoigner de ce qu’on n’a pas vécu ? En se mettant concrètement à la place des autres, en se faisant en l’occurrence engager parmi les agents d’entretien sur les ferrys du port normand, pour raconter de l’intérieur leur condition tout en sachant que notre vie est ailleurs, que comprend-on vraiment de la précarité de leur situation ? Lier un rapport amical avec eux, tout en mentant sur sa véritable identité pour obtenir le maximum d’informations et le récit le plus juste, est-ce légitime ? Juliette Binoche, qui incarne le rôle principal, celui de l’écrivaine Marianne Winckler, double chimérique de Florence Aubenas et d’Emmanuel Carrère, a joué entourée d’actrices non professionnelles, dont certaines incarnent leur propre rôle, avec une justesse et une franchise que le filtre du cinéma n’abîme jamais, au contraire. Car il ne s’agit pas d’un film documentaire. Il n’est pas non plus question du trouble entre le réel et la fiction, mais bien d’une interrogation à nouveaux frais sur la qualité du témoignage et sur l’émotion véritable que sa mise en forme provoque : de la sympathie ! Théorisée par les philosophes des Lumières, dont David Hume, cette disposition – qui signifie précisément « sentir avec » – forge nos sentiments moraux grâce à un processus d’identification. « Les esprits des hommes sont des miroirs les uns pour les autres », écrit le philosophe écossais. Ce miroir, le cinéma d’Emmanuel Carrère nous le tend, effectivement.
Faites-vous primer le désir comme Spinoza, la joie à l'instar de Platon, la liberté sur les pas de Beauvoir, ou la lucidité à l'image de Schopenhauer ? Cet Expresso vous permettra de le déterminer !
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