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À Saint-Pétersbourg (Russie), le 20 août 2020, un partisan d'Alexeï Navalny porte ironiquement une tasse de thé pour alerter l’opinion sur l’empoisonnement de l’opposant. © Ivan Petrov/AP/Sipa

Un classique éclaire le présent

Navalny, Deleuze et les poisons

Octave Larmagnac-Matheron publié le 28 août 2020 3 min

« La certitude de l’empoisonnement [de l’opposant russe Alexeï Navalny] est choquante », affirmait ce lundi le président de la commission des affaires étrangères au Bundestag allemand, Norbert Röttgen. Et de parler de « politique repoussante ». La France, de son côté, dénonce un « acte criminel ». Au-delà de l’évident scandale que représente la tentative d’assassinat, la méthode employée – le poison – suscite une indignation toute particulière. Pourquoi ? Parce que, pour tuer, le poison agit non de l’extérieur mais à l’intérieur même du corps. Il contraint « les parties de mon corps à entrer sous un autre rapport que le rapport qui me caractérise », et provoque une « décomposition » de l’individu, analyse Gilles Deleuze. Le philosophe y voit le modèle même du mal.

« Les résultats cliniques révèlent une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase », des agents innervants de la famille du sarin : telles sont les conclusions des médecins de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin, où Alexeï Navalny est soigné depuis samedi. L’opposant russe aurait donc bien été empoisonné – par le pouvoir en place, affirment bon nombre de commentateurs. Dmitri Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine, a rapidement démenti, tout en critiquant « l’empressement » des médecins allemands et en soutenant l’existence de « beaucoup d’autres pistes médicales ». L’hypothèse du poison suscite une indignation internationale.

Pourquoi ? Parce que le l’empoisonnement est le modèle du mal selon Deleuze : « Le mal est toujours une décomposition de rapport. Le type de ces décompositions, c’est l’action d’un poison sur notre corps » (Spinoza et le problème de l’expression). Le poison agit en effet de l’intérieur de l’organisme dont il produit, subrepticement, la désorganisation, et non de l’extérieur, comme un coup de couteau ou un tir de revolver. Dans l’approche de Deleuze, toute chose, y compris l’homme, doit en effet être compris comme un équilibre fragile entre différents éléments, un « rapport » changeant au gré de l’absorption permanente de substances étrangères. Si une partie de ces substances permet à l’individu de développer ou de maintenir sa puissance, d’autres, au contraire, provoquent son épuisement. 

Et de prendre l’exemple de l’arsenic : « Lorsque je suis empoisonné, […] les parties de mon corps entrent sous un nouveau rapport induit par l’arsenic, qui se compose parfaitement avec l’arsenic ; l’arsenic est heureux puisqu’il se nourrit de moi. L’arsenic [a contraint] des parties de mon corps à entrer sous un rapport qui se compose avec le sien, arsenic » (Spinoza. L’Affect et l’idée). Si le poison détruit la puissance de l’individu, c’est que l’immixtion de l’agent étranger reconfigure l’individu de l’intérieur, et fait naître un nouvel être, un nouvel agencement – un corps mort. « Moi je suis triste, je vais vers la mort. » Au contraire, « l’arsenic est heureux puisqu’il se nourrit de moi » et augmente ainsi sa puissance d’agir. 

Le modèle de l’empoisonnement permet à Deleuze de penser le mal de manière immanente, et non plus en référence à de valeurs transcendantes : le mal est empoisonnement, et l’empoisonnement est d’abord une « diminution de la puissance », comme l’explique le philosophe, en se référant explicitement au conatus (persévérance dans l’être) de Spinoza. Si un coup de couteau, qui défait l’intégrité du corps, peut être pensé à partir de ce modèle de la décomposition, il exprime moins clairement son inquiétante vérité : une entité infime, invisible, comme le poison qui a intoxiqué Navalny, est capable de faire dérailler l’organisme. 

Navalny avait d’ailleurs été arrêté et emprisonné à plusieurs reprises par le passé. Mais les intimidations n’avaient pas entamé sa détermination : l’opposant russe était resté de marbre, fermement ancré dans ses positions. Un bloc résistant aux assauts de la violence politique. L’empoisonnement revient à disloquer de l’intérieur ce monolithe qui semblait impossible à briser de l’extérieur, d’un coup de burin. 

Prenez l’antidote, lisez Gilles Deleuze !
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