Musée d’Orsay : tenue correcte exigée ?
Mardi dernier, une jeune femme s’est vue refuser l’entrée du musée d’Orsay au prétexte qu’elle portait un décolleté trop plongeant. Depuis, le musée a publié des excuses sur son compte Twitter. L’incident a toutefois suscité l’indignation : encore une fois, le corps des femmes est taxé d’obscénité, considéré comme un objet à la fois de désir et de dégoût, et de ce fait victime de discriminations. Pour dénoncer ces dernières, les Femen ont envahi dimanche le grand hall du musée d’Orsay pour une manifestation seins nus. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes féministes ont appelé lundi les femmes à s’habiller en jupes courtes, décolletés et crop top au lycée et au travail sous le hashtag #lundi14septembre. L’ironie de la situation n’a échappé à personne : dans un musée qui abrite de nombreux nus féminins, dont L’Origine du monde de Gustave Courbet, de véritables seins (tout de même cachés par une robe) sont considérés comme indécents. Le corps des femmes n’est-il « décent » que vu par le regard d’un artiste, la plupart du temps masculin, ou lorsqu’il obéit à certains stéréotypes ?
- Dans Seins. En quête d’un libération (Anamosa, 2020), Camille Froidevaux-Metterie note que l’histoire de l’art classique participe de la définition d’un sein idéal, qui serait montrable au détriment de tous les autres : celui, relativement petit, en forme de demi-pomme. « Arborer de “grandes tétasses’’, ces mamelles lourdes et pendantes qui sont le propre des nourrices, est proprement impensable pour les femmes des classes supérieures de la société médiévale qui utilisent tous les subterfuges pour souscrire au sein idéal, celui que Gabrielle d’Estrées se fait pincer dans ce tableau célèbre qui la représente torse nu, ainsi que sa sœur […]. Il y aura des variations quant à la forme socialement désirable des seins, des modes valorisant soudainement les gros seins, comme ceux des Hollandaises peintes par Rubens au début du XVIIIe siècle ou ceux des pin-up américaines des années 1960, mais la demi-pomme n’en est pas moins restée le sein standard », constate-t-elle. En dehors de la demi-pomme, toute autre type de sein tombe dans la catégorie de l’obscène, soit de ce qui doit rester caché sous peine de choquer le spectateur.
- Pour la philosophe et historienne de la pensée féministe Geneviève Fraisse, la nudité du corps des femmes a quelque chose à voir avec le dévoilement d’une vérité, la nudité étant par définition ce qui ne se cache pas. Au fil de l’histoire de l’art, plusieurs peintres ont représenté la vérité sous les traits d’une femme nue. Dans Les Excès du genre. Concept, image, nudité (Seuil, 2014), Geneviève Fraisse cite par exemple le tableau La Vérité sortant du puits (1898) : la toile, en forme d’allégorie, est une façon pour le peintre Édouard Debat Ponsan de prendre position lors de l’« affaire Dreyfus » en représentant une femme aux seins nus que tentent d’agripper deux hommes. On glisse ainsi vers la dimension politique de la nudité, exploitée aujourd’hui par le collectif des Femen.
La jeune femme à qui l'entrée du musée d'Orsay a été refusée. @jeavnne/Twitter
De quelle vérité est-il aujourd’hui question ? À la fois celle de la diversité des corps féminins qui ne se réduisent pas à un stéréotype, mais aussi celle de l’aliénation de ce corps au désir masculin. On qualifie d’indécent ce qui blesse et choque, ce qui est contraire à une certaine idée de la morale.
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