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Montage PM © Stringer/Anadolu/AFP/Yanina Shuisky

Russie

Mort de Prigojine : Wagner chez Moussorgski

Michel Eltchaninoff publié le 01 septembre 2023 4 min

L’élimination d’Evgueni Prigojine par le Kremlin est plus que probable. Mais comme sa mort même est invérifiable et demeure entourée de mystère, elle risque de donner corps, dans une partie de la société russe, au mythe du prince assassiné, célébré par le compositeur Moussorgski dans son opéra Boris Godounov. De quoi faire redouter des humeurs irrationnelles et des déstabilisations futures.


 

Sur la tombe d’Evgueni Prigojine, lors de ses funérailles en tout petit comité, sans Poutine ni honneurs militaires dûs à son rang de « héros de la Russie », on a lu quelques vers d’un autre Pétersbourgeois, le prix Nobel de littérature Joseph Brodsky. Le poème, intitulé Nature morte, s’achève par ces mots :

“Comme je franchirai le seuil,
sans comprendre, sans décider : 
es-tu mon fils ou Dieu ? 
C’est-à-dire es-tu mort ou vivant ?

Il dit en réponse : 
– Mort ou vivant,
il n’y a pas de différence, femme.
Fils ou Dieu, je suis à toi”

Mort ou vivant, peu importe finalement, affirment les proches du chef de Wagner : même si Prigojine est en enfer, son mythe est né, et il n’est pas près de s’éteindre. Celui qui a osé, le 23 juin dernier, lancer ses hommes sur Moscou et abattre des appareils de l’armée russe, provoquant une panique au plus haut niveau de l’État, est certainement mort. Il a sans doute été victime d’un attentat. Celui-ci a très probablement été commandité par Poutine, désireux de laver l’affront et de délivrer un message à tous ceux qui oseraient le défier. Reste que c’est impossible à démontrer pour l’instant. Il n’y aura pas d’enquête internationale ou indépendante. Le processus d’identification des corps et de détermination des causes du crash demeurent sous le contrôle de l’État russe, où la police et la justice sont aux ordres. Le site de l’accident, situé non loin d’une résidence de Vladimir Poutine, a d’ailleurs été rasé au bulldozer.

Imaginons un autre scénario (auquel, répétons-le, nous ne croyons pas). Comme dans le film Le Troisième Homme (1949) de Carol Reed, l’homme qu’on a enterré n’est pas dans la tombe. On le fait passer pour mort afin de le laisser vivre tranquillement, sous une autre identité, très loin d’ici. Prigojine n’était pas dans l’avion. Dans un ultime pacte, les deux compères pétersbourgeois Poutine et Prigojine ont imaginé ce stratagème pour laisser le second vivant et le premier serein pour des années. Après tout, le chef de Wagner était déjà depuis longtemps une sorte de mythe vivant. Passé maître dans l’art de la cavale lors de ses jeunes années de délinquance, il a été serveur des chefs d’État invités par Poutine au restaurant, organisateur des fermes à trolls inondant le monde de fausses nouvelles, déstabilisateur en Syrie, en Libye, dans d’autres pays d’Afrique. Le vainqueur de Bakhmout a toujours joué le rôle de trublion mystérieux. Il enregistrait des vidéos surréalistes le mettant en scène dans des villes en ruine ou au milieu du désert africain. Il aime se déguiser, porter fausses barbes et postiches. Il possède plusieurs faux passeports. Peut-être a-t-il des doubles. Il s’est toujours débrouillé pour changer l’itinéraire de ses vols en jet privé et pour ne pas systématiquement fournir la liste exacte des passagers. Depuis l’échec de sa mutinerie, on croyait l’apercevoir tantôt au Bélarus, tantôt serrant la main d’un dignitaire africain à Saint-Pétersbourg, dans divers pays africains. Alors qu’il devienne un personnage mythologique post-mortem, conformément au poème de Brodsky, n’est que la suite logique des choses.

Jouissant d’une popularité certaine au sein d’une société russe lucide sur la corruption du pouvoir et pressée d’en finir avec cette guerre en Ukraine, Prigojine a désormais l’aura d’un grand personnage de l’histoire nationale, le jeune tsarévitch Dimitri, mort mystérieusement en 1591 à l’âge de 8 ans. Boris Godounov, le régent qui deviendra tsar, l’a-t-il fait tuer pour l’empêcher de prétendre au trône ? C’est ce que raconte Pouchkine dans sa tragédie et Modeste Moussorgski dans son opéra. Une partie du peuple, disent les historiens, a cru à la version de l’assassinat politique. Des faux Dimitri apparaîtront dans ces « Temps des troubles », au début du XVIIe siècle, avant l’instauration de la dynastie des Romanov. Un certain Grichka Otrepiev prendra même brièvement le pouvoir en prétendant être le prince assassiné. Pour une partie de ses supporters, Prigojine restera une sorte de Dimitri, et l’on croira peut-être demain à sa réapparition en Afrique, en Syrie ou près des murailles du Kremlin. Un mythe est né. Des mémoriaux à la gloire de Prigojine se sont multipliés dans les villes russes. Mais surtout, la version selon laquelle il est toujours vivant commence à circuler sur les réseaux et dans certains médias. Des mèmes parodiant un célèbre tableau d’Ilia Répine, représentant un jeune prisonnier politique réapparaissant au sein de sa famille qui le croyait parti à jamais, aussi. Le titre exact du tableau est : On ne l’attendait plus.

Même si le fantasque patron de Wagner ne vivra sans doute jamais sa chevauchée des Walkyries, les circonstances qui accompagnent sa disparition montrent une chose, sans doute inquiétante. Tandis que l’opposition démocratique, déjà faible, est désormais éliminée en Russie – ses meneurs sont en prison ou exilés, les rares manifestants sont arrêtés –, la seule force capable de concurrencer Poutine s’inspirera de Prigojine : elle sera encore plus nationaliste que le président, plus populiste et plus violente. Comme on sait, les grands mouvements antidémocratiques s’appuient, tel le fascisme en son temps, sur des mythes fantastiques. Celui qui est en train de naître autour de l’irrésistible ascension et de la chute d’Evgueni Prigojine fera peut-être partie d’un de ces futurs élans. Cela veut dire, tout au moins, que la suite des événements en Russie ne sera pas de tout repos. Et que le président Poutine, après sa vengeance, ne dormira pas forcément plus tranquille.

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