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Chevigny-Saint-Sauveur, dans la Côte-d’Or (21), le 26 septembre 2021. Chloé Galissi est élue Miss Bourgogne 2021. © J.-C. Tardivon/Maxppp

Le réflexe socratique

Miss France : sois belle, souris, mais surtout pas d'ironie !

Frédéric Manzini publié le 02 novembre 2021 4 min

Il ne suffit pas d’être belle, jeune, grande et mince, ou d’afficher un large sourire pour être élue Miss France. Ni même de s’engager en faveur de la paix dans le monde, pour la défense des animaux ou contre le réchauffement climatique. Révélé à l’occasion de la saisie des prud’hommes par une association féministe, le cahier des charges de l’organisation du concours impose également aux candidates d’être célibataires, sans enfant, de ne jamais avoir été mariées, de ne pas boire ni fumer en public et... de « ne pas faire d’ironie ».

Comment comprendre une telle interdiction ? Que révèle cette exigence, qui peut apparaître comme la plus incongrue de toutes dans le contexte d’un concours de beauté ?

Les exigences faites aux miss

Rappelons le contexte. Il y a deux semaines, l’association Osez le féminisme a saisi le conseil de prud’hommes pour « discrimination à l’embauche » (sic). Elle estime en effet que l’organisation Miss France enfreint le droit du travail, et que son exigence de retenir exclusivement des candidates célibataires et sans enfant est de nature sexiste, au motif que cela dissimulerait une volonté d’avoir des candidates « sexuellement disponibles ». De son côté, la production du célèbre concours de beauté rétorque qu’elle a imposé de telles règles simplement afin de recruter des miss « disponibles tout court »… Mais pourquoi, alors, leur demander également de se garder de toute ironie ? Quel risque exact court-on, ou fait-on courir aux autres, en faisant preuve d’ironie ?

Humour et ironie

Remarquons bien que ce n’est pas l’humour qui est interdit, mais bien l’ironie. La différence ? Là où l’humour, plus général, fait naître le comique de sa manière plaisante et détachée de relever le caractère insolite, surprenant ou absurde de certaines réalités, l’ironie, à l’instar du sarcasme, fonctionne fondamentalement par antiphrases moqueuses – et elle vise toujours quelqu’un, ou quelque chose de très précis. Même si chez les miss, l’humour n’est pas nécessairement le bienvenu, rien n’empêche les candidates de glisser un petit trait d’esprit ou d’auto-dérision aux (rares) moments où elles sont invitées à prendre la parole. L’année dernière, en 2020, Miss Rhône-Alpes s’y était même risquée, en lançant « Ce soir, je vais vous faire craquer. Pourquoi ? Eh bien, parce que je suis ostéopathe ». Si sa vaillante tentative de faire sourire le public a fait un bide, du moins n’a-t-elle pas, avec son jeu de mots innocent, enfreint le règlement officiel qui n’interdit que l’ironie. Pourquoi ? Sans doute parce qu’en plus d’être ciblée, l’ironie est foncièrement narquoise et subversive, comme l’explique Vladimir Jankélévitch dans l’ouvrage qu’il lui a consacrée (L’Ironie, 1936). Non qu’elle soit toujours malveillante et cynique, mais parce qu’elle joue toujours le rôle de « trouble-fête », en initiant un questionnement critique qui dérange et qui invite à réfléchir. Pratiquer l’ironie, c’est faire apparaître une contradiction chez l’autre, et donc le pousser à s’interroger sur lui-même, c’est-à-dire à aller chercher ce qu’il y a derrière une image superficielle – qu’il s’agisse d’une image figée de la beauté ou d’autre chose.

Socrate, “le patron des ironistes”

Selon Jankélévitch, c’est exactement ce que faisait Socrate – qu’il appelle « le patron des ironistes » – à Athènes, auprès de ses concitoyens : un général d’armée qui se révèle incapable de définir le courage (Lachès), un rhapsode qui se prend pour un grand artiste mais qui finit par reconnaître qu’il n’a pas de talent personnel (Ion), etc. En échangeant avec ses interlocuteurs, le subtil Socrate parvenait à les mettre dans l’embarras, à dégonfler leur orgueil, à leur faire prendre conscience qu’ils étaient bien plus ignorants qu’ils croyaient l’être et finalement à leur faire comprendre qu’ils ne méritaient pas nécessairement la réputation dont ils s’enorgueillissaient. Son ironie était suffisamment puissante pour ruiner n’importe quelle réputation ou tourner en ridicule n’importe quelle posture sociale.

Fragilité du sérieux

Voilà pourquoi l’ironie est une arme si dangereuse, comme on l’a bien compris chez Miss France. D’ailleurs, il suffirait d’une attitude ou d’une remarque pour qu’éclate tout ce qu’il y a de dérisoire dans le principe d’un tel concours, et d’absurde dans l’exercice rituel du défilé en maillot de bain dont les chorégraphies sont aussi soigneusement orchestrées que celles d’un défilé militaire. Si l’ironie surgissait, toute la fragile crédibilité du concours s’effondrerait aussitôt, comme l’écrit encore Jankélévitch dans L’Ironie : « Le sérieux est essentiellement fragile. Notre respect s’envole quand nous découvrons à quelles causes minuscules tiennent les plus grandioses événements de l’histoire ou de la vie intérieure. […] Comment nous prêterions-nous encore à cette comédie ? » Il est donc indispensable de rester premier degré et que les jolies poupées gardent leur sourire de façade dans ce cadre hyper formaté, pour offrir un spectacle aussi lisse que la peau de leurs aisselles si impeccablement épilées.

Une comédie humaine

Pour autant, cela ne signifie pas que ce regard distancié et ironique, voire pertinemment moqueur, n’existe pas au sein de l’organisation Miss France. Il est d’abord vraisemblablement présent chez les miss, qui ne connaissent que trop les artifices auxquels elles doivent se plier (même si elles doivent contractuellement s’engager à ne pas les critiquer). Il existe assurément chez les téléspectateurs, ensuite ; car sans renier le plaisir qu’il prend à comparer les reines de beauté, le public n’est évidemment pas dupe de la vaste comédie qui se joue devant lui et, chez lui, il peut s’amuser à en déjouer les règles à loisir. Aussi se réjouit-il volontiers des moindres écarts qui viennent rompre cette belle mécanique de sourires forcés : un diadème posé de manière un peu bancale, un talon qui casse, un geste maladroit, un lapsus malheureux, etc. Ne sont-ce pas d’ailleurs ces moments-là qui, à eux seuls, donnent de l’humanité au concours, un supplément d’âme voire un certain charme ? Après tout, si Socrate, dont la tradition philosophique a largement fait état de sa laideur physique, avait tant de succès amoureux, ce n’est peut-être pas malgré mais grâce à son art de l’ironie. Et si l’ironie pouvait, elle aussi, rendre beau… ou belle ?

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