Michel Valensi, Vincent Valentin. Ouvert le dimanche ?

Vincent Valentin, Michel Valensi, propos recueillis par Philippe Nassif publié le 10 min

La loi Macron visant à autoriser le travail dominical a provoqué un vif débat politique. L’éditeur Michel Valensi nous éclaire sur le sens du shabbat juif à l’origine du jour de repos hebdomadaire. Face à lui, le philosophe libéral Vincent Valentin fustige les nouveaux paternalistes du dimanche.

Le projet de loi du ministre de l’Économie Emmanuel Macron visant à lever, en partie, l’interdiction de travailler le dimanche, a provoqué un débat passionné. À gauche, mais aussi à droite, beaucoup ont dénoncé une régression de civilisation. Il est vrai que la tradition du dimanche chômé vient de loin. C’est d’abord le peuple juif qui institue le principe d’un repos le septième jour, c’est-à-dire, pour lui, le samedi, sous le nom de « shabbat ». Mais puisque le shabbat est vécu comme une préparation à la venue du messie, les chrétiens – pour qui le messie est venu – déplaceront ce moment de suspension du travail au dimanche, jour de la résurrection du Christ. Et ce dimanche chômé est imposé, au IVe siècle, à tout l’Empire romain par Constantin, premier empereur converti au christianisme. Seize siècles plus tard, la loi de 1906 en France étend à – presque – tous l’obligation au repos dominical. Afin de mieux comprendre les enjeux de ce débat pas si anecdotique, nous avons réuni le philosophe libéral Vincent Valentin et le cofondateur des Éditions de l’Éclat, Michel Valensi, dont les choix de textes sont marqués par un double engagement du côté de la radicalité politique et de la culture juive. Une société laïque et multiculturelle peut-elle encore revendiquer de chômer le dimanche ?

 

Vincent Valentin : Dès le XIXe siècle, le repos le dimanche est certes admis par les auteurs libéraux, mais avec suspicion. Si John Stuart Mill reconnaît, dans les dernières pages de De la liberté, que la loi puisse garantir à chacun l’observation de cette « coutume salutaire » qu’est « la loi du jour du shabbat », fondée sur un intérêt commun, il met immédiatement en garde : la suspension des activités industrielles ne doit pas être le prétexte d’un contrôle « des amusements du dimanche ». Ce serait sinon une façon d’imposer un comportement religieux. J’évoque ce texte, car la dimension paternaliste que fustige Mill se retrouve aujourd’hui dans le cabrement d’une partie de la gauche contre la loi Macron en faveur de la libéralisation du travail le dimanche. Exemplaire est en ce sens la tribune de la responsable socialiste Martine Aubry, dans Le Monde du 10 décembre dernier, intitulée « Ne réduisons pas l’existence à la consommation ». Elle critique le consommateur plutôt qu’elle ne défend le travailleur. Paradoxalement, une partie de la gauche fait la critique de l’usage de sa liberté par le salarié après avoir lutté pour qu’il dispose de son dimanche. Retournement étonnant : elle évoque un devoir plus qu’un droit du travailleur. Au lieu de mettre en avant les arguments de nature sociale ou économique – qui sont présents, mais vers la fin de son article –, elle édicte la manière dont il faudrait vivre son dimanche : « C’est un moment précieux qui doit être consacré à la famille et aux amis, à la vie associative, à la culture et au sport… » Elle place ainsi son discours sur le plan moral.

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