Luce Irigaray : “Le désir naît d’une différence plus que d’une similarité”
Elle est l’une des grandes figures du féminisme et une penseuse influente pour toute une génération. Moins connue en France qu’à l’étranger, où elle a fait carrière, la philosophe Luce Irigaray n’a cessé de réfléchir à la coexistence entre hommes et femmes. Elle retrace une vie consacrée à penser l’agencement de nos différences.
Vous n’avez peut-être jamais entendu son nom. Luce Irigaray, 88 ans, a pourtant été – entre bien d’autres choses – l’une des féministes les plus marquantes et les plus singulières des mouvements de libération des années 1970, avant d’être mise au ban, marginalisée, exclue de l’espace intellectuel francophone. En cause : la publication de sa thèse, Speculum, une critique radicale du traitement du féminin dans la psychanalyse et une déconstruction des « fondements mêmes de notre culture ». Cette dernière se serait édifiée autour de l’idée d’un « sujet neutre ». Fiction, réplique Luce Irigaray : la réalité du vivant, c’est la différence sexuée. Le deux plutôt que l’un. L’homme et la femme n’ont pas la même subjectivité. Le méconnaître revient à reconduire notre volonté de dominer la nature. Le scandale, immédiat, est à la hauteur du succès de librairie : Irigaray est chassée de l’université de Vincennes et de l’École freudienne de Paris, et bientôt privée de publication. Déjà exilée de sa Belgique natale, et de ses origines minières, pour venir étudier la psychanalyse à Paris, la jeune femme est rejetée intellectuellement de son pays d’accueil. Sa pensée trouve alors refuge à l’étranger : en Italie, notamment, où elle collabore avec le parti communiste pendant des années, et aux États-Unis, où elle devient une référence fondamentale pour les études de genre et la pensée féministe. Elle se rend souvent dans ce pays, avant d’arrêter de prendre l’avion. Une conviction écologique forte, par « respect pour la nature », qui est au cœur de son approche différentialiste du genre et qui l’a « toujours accueillie, jamais exclue », lorsque les portes se fermaient. Discrète sur sa vie, réticente à revenir sur les polémiques qui l’ont marquée, elle s’efforce inlassablement d’« apporter des éléments positifs pour le présent et le futur » plutôt que de ressasser le négatif. Tour d’horizon d’une pensée, que nous avons explorée pendant plusieurs semaines à coups d’échanges téléphoniques, de conversations épistolaires et de rencontres face à face.
Luce Iirigaray en 6 dates
1932 (?) Naissance, selon certaines sources, à Blaton, en Belgique
1959 S’installe à Paris pour étudier la psychanalyse
1964 Intègre le Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
1970 Commence à enseigner à l’université de Vincennes créée dans le sillage de Mai-68
1974 Publie Speculum, qui conduit à son éviction de l’École freudienne de Paris
2003 Commence à organiser un séminaire annuel avec des doctorants du monde entier
Comment appréhendez-vous la crise sanitaire ?
Luce Irigaray : Comme me l’écrivait pendant le premier confinement une jeune chercheuse qui a assisté à mon séminaire pour doctorants, « les deux thèmes les plus cruciaux de votre pensée, la respiration et le toucher, sont ceux qui sont le plus en question aujourd’hui ». Il est dommage qu’ils le soient pour des raisons plus négatives que positives. C’est malheureusement trop souvent le cas dans notre tradition. Il serait pourtant préférable d’envisager la pratique de la respiration comme une culture de la vie, l’air comme ce qui unit tous les êtres vivants, et le toucher comme le premier et le plus fondamental moyen d’entrer en communication ou en communion entre nous.
Pourquoi avons-nous oublié l’air en Occident ?
L’air est absolument irréductible à un objet. Notre logique ne sait pas comment traiter ce type de réalité. L’air est l’élément le plus indispensable à la vie. Hélas ! notre culture considère plus manger que respirer comme ce qui nous permet d’exister. Et si les théoriciens du matérialisme se sont préoccupés du besoin de se nourrir et de l’argent que cela nécessite, ils se sont bien peu souciés de notre besoin de respirer qui est plus fondamental encore, et en un sens gratuit.
Quel est le moment décisif de cet oubli de l’air ?
La tragédie Antigone de Sophocle, qui marque le passage d’une époque où l’humain habite le cosmos à une autre où le monde lui-même est construit par l’homme. C’est le souci de la pureté de l’air qui pousse Antigone à enterrer son frère malgré l’interdit du roi Créon. Et c’est en la privant d’air, en l’enfermant dans une grotte, que Créon la condamne à mort. Cette mort d’Antigone inaugure l’ère patriarcale qui est encore la nôtre. Quand j’ai parlé d’Antigone dans Speculum, cette figure était quasiment oubliée. Certains perçoivent aujourd’hui que leur inquiétude concernant le climat a quelque chose à voir avec cette tragédie. Mais s’il est clair que les lois qu’Antigone défend au péril de sa vie – le respect de la nature, de l’engendrement et de la généalogie maternels, de la différence sexuée – sont au cœur des préoccupations de notre temps. Lequel de nos contemporains entrevoit le sens de ces différents impératifs ? L’homme ne continue-t-il pas à vouloir s’accaparer les lois naturelles au lieu de se demander comment les respecter et se développer lui-même en fonction de sa propre appartenance à la nature ? Cela l’aiderait à préserver non seulement le souffle nécessaire à sa survie mais celui dont son âme doit être faite pour rester l’âme d’un corps, comme chez Aristote – une âme faite de souffle et de toucher.
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