L’intelligence oui, mais de quoi ?
« La bêtise est quelque chose d’inébranlable ; rien ne l’attaque sans se briser contre elle », déplorait Flaubert. L’intelligence, c’est tout le contraire. C’est même sa fugacité, sa fragilité, sa nature contradictoire qui la caractérisent. Et en plus d’être difficile à définir, elle vit actuellement une profonde métamorphose. Regardons.
Tout d’abord, chacun d’entre nous est sommé de devenir intelligent. Tous les savoirs sont supposés être disponibles sur Internet. Les maîtriser n’est plus un privilège. Seule notre intelligence, sur le plan des capacités, nous distingue donc d’autrui. Face à l’arrivée du texte imprimé, Montaigne prévenait déjà, critiquant une éducation fondée sur l’accumulation des savoirs : « nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire et nous laissons l’intelligence et la conscience vides » (Essais, I, 25). Qu’aurait-il dit avec une tablette ou un smartphone dans sa poche ? Nous participons plus qu’hier à une « économie de l’intelligence », exigeant des qualités tirées de notre propre fond et qui nous distinguent d’autrui : agilité, vitesse, créativité, faculté de compréhension, de synthèse, d’invention. Malheur aux moutons, aux lents, aux lourds, aux benêts !
L’esprit épuisé
Deuxièmement, chacun a peur de s’abêtir. Le passage du monde clos et hiérarchisé de la production de masse à l’univers infini des individus singuliers a des conséquences en retour sur cette intelligence si valorisée. Nous vivons désormais dans un tourbillon d’informations qui risque de nous faire perdre la tête. Paul Valéry, à travers quelques formules saisissantes, avait perçu, il y a presque cent ans, les prémices du problème. Dans ses Propos sur l’intelligence (1925), il alerte : « L’homme, donc, s’enivre de dissipation. Abus de vitesse ; abus de lumière ; abus de toniques, de stupéfiants, d’excitants ; abus de fréquence dans les impressions ; abus de diversité ; abus de résonances ; abus de facilités ; abus de merveilles, abus de ces prodigieux moyens de décrochage ou de déclenchement, par l’artifice desquels d’immenses effets sont mis sous le doigt d’un enfant [Petite Poucette, déjà !]. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus. » Quel effet sur l’intelligence ? Une sorte d’amollissement, de terne naufrage : « la quantité des publications, leur fréquence diurne, le flux des choses qui s’impriment ou se diffusent, emportent du matin au soir les jugements et les impressions, les mélangent et les malaxent, et font de nos cervelles une substance véritablement grise, où rien ne dure, rien ne domine, et nous éprouvons l’étrange impression de la monotonie de la nouveauté, et de l’ennui des merveilles et des extrêmes » (Le Bilan de l’intelligence, 1935). Nous avons raison d’avoir, après Paul Valéry, des « craintes sérieuses sur les destins de l’intelligence telle que nous la connaissons jusqu’ici ». Sollicitée en tous sens, épuisée par l’infinie diversité de ses applications, de plus en plus indéfinissable, l’intelligence se transforme-t-elle en excitation ultramobile ? À force d’être vifs et pluriels, nous nous sommes peut-être rendus incapables de réfléchir – donc de nous montrer intelligents.
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