L’insouciance retrouvée ?

Alexandre Lacroix publié le 8 min

Et si le fin mot de la philosophie n’était pas de nous placer l’idée de la mort constamment sous les yeux, mais au contraire de nous en libérer ? Et si apprendre à mourir, c’était s’alléger du poids des ruminations macabres ? Tel est l’étonnant chemin – semé d’obstacles ! – qui mène à Épicure et à Spinoza.

Usons d’abord d’une image : l’idée de la mort est comme une tache sur le carreau.

Vous êtes à l’intérieur d’une maison. Par la fenêtre, vous apercevez un jardin, avec des fleurs et des arbres verdoyants. Ce jardin représente la vie. Sur le carreau de la fenêtre près de vous, il y a une tache. De deux choses l’une : soit vos yeux effectuent une mise au point sur la tache, et vous voyez celle-ci dans ses moindres détails, elle en acquiert une netteté hyperréaliste (si bien que vous vous rendez compte qu’il ne s’agit pas d’un simple dépôt de saleté, mais bien d’une bulle coincée dans le verre lui-même, que rien ne peut effacer) ; soit vous regardez le jardin et ne discernez la tache autrement que comme un point flou, grisé, qui flotte quelque part entre le feuillage vert et vous – moins qu’une ombre.

Cette tache n’est autre que l’idée de la mort : lorsque nous fixons notre attention sur elle, la vie passe au second plan ; tant que nous nous donnons à la vie, elle est vague et anonyme, elle glisse au-dehors de notre champ de vision. L’idéal de lucidité commanderait de tenir les deux ensembles, de ne pas perdre de vue la certitude que le monde court au néant, alors que nous jouons dans la piscine avec nos enfants ou savourons des spaghettis aux fruits de mer, mais ce double postulat n’est guère tenable dans la durée. De sorte qu’en général nous nous aveuglons à moitié. Ou bien nous toisons ce monde avec l’œil d’un immortel. Ou bien nous le lorgnons avec l’œil d’un condamné.

Avouons-le, nous nous trouvons vis-à-vis de la mort dans une perpétuelle oscillation. Si nous passons quelques minutes à y penser résolument, à tenter d’anticiper réellement ce que sera l’agonie, à méditer sur les événements qui poursuivront leur cours sans nous, nous sentons monter une irrépressible angoisse. Il n’y a pas de perspective plus effarante. Mais à peine abandonnons-nous ce genre de considérations qu’elles s’évaporent, perdant toute densité, comme les rêves qu’on oublie au réveil. Inconstance ? Signe que nous manquons de philosophie ?

Mais les meilleurs philosophes eux-mêmes hésitent ! Voici une définition possible de la philosophie : une discipline qui tente de nous accorder par la pensée avec la condition mortelle. Si cette définition est pertinente, comment le travail de la philosophie pourrait-il être achevé ? Son dessein est-il même atteignable ?

Expresso : les parcours interactifs
Joie d’aimer, joie de vivre
À quoi bon l'amour, quand la bonne santé, la réussite professionnelle, et les plaisirs solitaires suffiraient à nous offrir une vie somme toute pas trop nulle ? Depuis le temps que nous foulons cette Terre, ne devrions nous pas mettre nos tendres inclinations au placard ?
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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