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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Amedeo Modigliani (1884-1920), “Fille rousse”, 1915. Huile sur toile, 40,5 x 36,5 cm. Paris, musée de l’Orangerie. © RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie)/Hervé Lewandowski

Exposition

Les yeux absents de Modigliani, entre masque et profondeur

Frédéric Manzini publié le 20 octobre 2023 4 min

Dandy de Montmartre et artiste maudit, Modigliani ? Le cliché a la peau dure, car le peintre était aussi et peut-être surtout un esprit lettré et érudit, un temps surnommé « le philosophe » en raison de son goût pour les discussions savantes. À l’occasion de l’exposition Amedeo Modigliani. Un peintre et son marchand, au musée de L’Orangerie, à Paris (jusqu’au 15 janvier), penchons-nous sur ce qui rend ses portraits si intrigants.


 

Modigliani, c’est un style très reconnaissable : quelques nus mais essentiellement des portraits réalisés dans des tons noirs, ocres et bleus, le plus souvent féminins, avec les épaules effacées, les visages oblongs, les têtes légèrement inclinées, l’air grave, et surtout des regards étranges et comme absents, des yeux en amande parfois dépourvus de cils et de pupille. Si l’on a pu y déceler l’influence de peintres siennois ou des icônes byzantines, l’exposition actuelle au musée de L’Orangerie Amedeo Modigliani, un peintre et son marchand, dont Philosophie magazine est partenaire, propose une autre lecture autour de la figure de Paul Guillaume, le marchand en question, et de l’amour pour la statuaire africaine qu’il partageait avec le peintre italien.

Paul Guillaume est en effet « l’un des rares marchands de son époque à considérer les statues et les masques africains comme des œuvres d’art, ainsi que l’un des premiers à les exposer aux côtés d’œuvres d’art moderne européen », rappelle le texte écrit sur les cimaises. Proportions des corps, simplification des traits et géométrisation des formes, c’est en sculpteur ou en facteur de masque que Modigliani peint, quitte à représenter des fentes ou des cavités en lieu et place des yeux, peintes en noir ou dans la couleur du fond.

 

Des portraits présents par l’absence

Mais ce qui est normal dans le cas d’un masque ne l’est pas nécessairement sur une toile peinte. L’absence de regard produit un effet d’autant plus intrigant qu’il concerne la partie du visage qui est censée être la plus expressive et sur laquelle se focalise l’attention du spectateur. Modigliani ne manque-t-il pas quelque chose en laissant les orbites ainsi vides ? Ce reproche en rappelle un autre, formulé par Platon, dans un passage de la République. Le philosophe se sert d’une hypothèse inattendue pour expliquer l’harmonie politique qu’il voudrait instaurer dans la Cité :

« “Si nous étions occupés à peindre une statue et que quelqu’un s’approchait et nous blâmait de ne pas appliquer les plus belles couleurs aux plus belles parties du corps, et cela parce que nous aurions peint les yeux, qui en sont le plus bel ornement, non en pourpre, mais en noir, nous aurions raison, je crois, de lui répondre : “Ô surprenant critique, ne t’imagine pas que nous devions peindre des yeux si beaux qu’ils ne soient plus des yeux, non plus d’ailleurs que toute autre partie ; considère plutôt si, donnant à chaque partie la couleur qui lui convient, nous rendons l’ensemble parfait.” »
— Platon, République, IV, 420 c-d, trad. Chambry modifiée

En d’autres termes, ce n’est pas parce que les yeux sont la plus belle partie du corps qu’ils doivent être peints avec les plus belles couleurs (en l’occurrence le pourpre) ; au contraire même, cela pourrait les dénaturer et il est préférable de les peindre de la couleur qui convient pour l’ensemble de l’œuvre, fût-ce avec des couleurs simples et banales comme le noir.

Modigliani va encore plus loin : peindre les yeux n’est même pas nécessaire pour donner une expression au visage. Au contraire, celui-ci peut gagner en harmonie quand on s’en abstient. Ses portraits y trouvent un nouvel équilibre car ils fonctionnent en effet comme des masques, mais des masques qui n’ont rien à masquer, c’est-à-dire à dissimuler ni à cacher : derrière eux il n’y a rien, rien d’autre ou rien de plus qu’eux-mêmes, parce qu’ils sont déjà tout ce qu’il y a à voir.

 

Peindre l’âme

Les yeux de Modigliani font-ils défaut ? Une célèbre anecdote voudrait qu’il ait répondu « Quand je connaîtrai ton âme, je peindrai tes yeux » à Jeanne Hébuterne, qui se serait émue de ne pas les voir figurés sur son portrait. Réponse ironique sans doute, sauf à croire qu’on puisse jamais connaître l’âme de qui que ce soit. Il faut inverser la formule : si les yeux ne sont pas peints et si l’âme est inconnaissable, c’est l’âme elle-même qui se trouve peinte sur la toile.

“D’un œil, observer le monde extérieur, de l’autre regarder au fond de soi-même”
Amedeo Modigliani

 

En vérité, il ne manque rien aux visages de Modigliani, qui trouvent une profondeur, une douceur et une mélancolie nouvelles dans le creux même de ces yeux ajourés. C’est le paradoxe qu’il explique dans une lettre à son ami le peintre Chaïm Soutine quand il lui écrit : « [Mes personnages] regardent. Ils voient même si j’ai choisi de ne pas dessiner les pupilles ». Mais que regardent-ils ? Que voient-ils ? Quelque chose de l’ordre de l’absence et de l’insaisissable ? Est-ce un regard intérieur, au sens de sa célèbre formule : « D’un œil, observer le monde extérieur, de l’autre regarder au fond de soi-même » ?

On raconte qu’Amedeo Modigliani s’enorgueillissait de compter Spinoza parmi ses ancêtres. Sans doute par vantardise, même s’il est exact qu’une certaine Régine Spinoza issue de la branche juive séfarade de sa famille était sa trisaïeule, ce n’est vraisemblablement qu’une homonymie. Or Spinoza considérait que « les yeux de l’âme, par lesquels elle voit les choses et les observe, sont les démonstrations elles-mêmes » (Éthique, Ve partie). Chez Modigliani, c’est l’absence des yeux qui nous permet de mieux voir et observer les âmes.

À VOIR
Amedeo Modigliani. Un peintre et son marchand, au musée de L’Orangerie (jardin des Tuileries, Paris Ier), jusqu'au 15 janvier (du mar. au dim. de 9h à 18h, nocturne jusqu'à 21h le ven.).

Pourquoi Modigliani est un peintre de l’âme
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