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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Paul Blondé

Les travailleurs de la mort

Paul Blondé publié le 24 octobre 2017 17 min

Pompier, équipe de soins palliatifs, médecin pratiquant l’euthanasie, thanatopracteur… Leur quotidien les place au plus près la mort. Mais comment vivent-ils cette proximité ? Chacun a élaboré ses propres stratégies, que nous avons recueillies.

Le métro s’arrête entre deux stations. Une moue passe sur les visages de nombreux passagers, et le message redouté résonne dans la rame. On distingue les mots « accident grave de voyageur », « trafic interrompu » et « reprise du trafic », mêlés au brouhaha. Que va-t-il se passer entre l’interruption et la reprise ? Thomas, ou l’un de ses collègues sapeurs-pompiers de Paris, va descendre sur les voies faire le travail indispensable que personne n’a envie de faire, et auquel personne n’a même envie de penser. « Quand il faut ramasser des pieds sur 400 mètres, raconte Thomas, une main par-ci, un foie par-là, je ne me pose pas de questions. Je ne le fais ni avec plaisir ni avec tristesse. Simplement, je le fais. C’est mon travail. »

Thomas, 32 ans, fait partie des gens exerçant un métier qui le place régulièrement au contact de la mort. Comment vit-on à ce contact ? Comment voit-on la mort quand on la côtoie aussi souvent ? Et cette fréquentation fait-elle changer de regard sur la vie ?

Épicure avançait dans sa Lettre à Ménécée que le seul moyen de se débarrasser de la peur de la mort était de s’en détacher et que, de toute façon, cette attitude était la seule porteuse de sens : « Habitue-toi à penser que la mort n’est rien par rapport à nous ; car tout bien – et tout mal – est dans la sensation : or la mort est privation de sensation. » Et donc, « il n’y a rien de redoutable dans la vie pour qui a vraiment compris qu’il n’y a rien de redoutable dans la non-vie ».

Seulement, le philosophe grec place ici chacun devant sa propre mort mais ne nous dit rien sur celle des autres, à laquelle les travailleurs de la mort sont quotidiennement confrontés.

 

La camaraderie face à ce qui détruit la vie

Thomas, pompier depuis dix ans dans une caserne de la proche banlieue de Paris, estime avoir croisé environ cinquante personnes décédées depuis son arrivée dans la brigade.

Et il est loin d’avoir oublié la première fois : « C’était un arrêt cardiaque. Une femme âgée, chez elle. On est passés par le salon, la chambre était derrière, à droite de la cheminée, où était posée une pendule. Je me souviens très bien de la configuration de l’appartement. Cette femme était sur son lit, on l’a transportée dans le salon. On l’a massée, mais elle est morte. » Thomas ne garde « pas un souvenir traumatisant » de l’irruption de la mort dans sa vie mais la décrit plutôt comme « une sorte de marqueur », trois ou quatre mois après ses débuts.

Depuis, il l’a intégrée à son quotidien : « En partant au travail, je ne me pose même pas la question de savoir si je vais voir un mort dans la journée. Un pompier qui se poserait cette question, il faudrait qu’il change de métier. »

Cependant, la mort ne devient jamais un compagnon comme un autre, explique lucidement le jeune homme : « La plupart des gens ne verront jamais de morts, et tant mieux. Ce n’est pas normal, ce n’est pas dans le rythme classique de la vie. »

« Ce qui me touche profondément, c’est la dimension sociale et humaine, beaucoup plus qu’un corps en décomposition »

Thomas, sapeur-pompier de la Ville de Paris

« Un jour, j’étais rentré en cassant une fenêtre, et un homme était décédé sur son canapé depuis longtemps, poursuit-il. À côté de lui, toute la table était couverte de “cubis” de vin vides et de mégots de cigarettes écrasés. Là, tu te dis : “Mais comment il en est arrivé là ?” Ce qui me touche profondément, c’est la dimension sociale et humaine, beaucoup plus qu’un corps en décomposition. » En somme, ce qui le touche, c’est beaucoup plus ce qui détruit la vie que la mort elle-même.

Même si Thomas dit s’être « forgé une carapace », il n’est « pas non plus naïf. Il y a des chances de le payer un jour. Je ne ressens pas de besoin particulier d’en parler, je ne me sens pas bridé à cause des choses que j’ai vues. Mais je sais aussi qu’il y a des pompiers qui, à 50 ans, craquent ou font une dépression. Ce qui avait l’air de couler sur eux s’était finalement imprégné ».

Il souligne l’importance d’alliés indispensables : les autres vivants. Que ce soit au moment de partir sans savoir sur quoi il va tomber, sur le lieu d’une intervention lorsque sa propre vie dépend des gestes de ses collègues ou encore sur les voies du métro, il n’est « jamais seul ». Pour autant, reconnaît le jeune homme, les longues conversations ne sont pas la grande spécialité chez les pompiers. « On ne “débriefe” pas énormément sur le plan personnel. C’est l’armée, c’est un peu le cliché du truc de mecs, il faut être fort. On va plutôt faire des blagues que dire : “Oh ! c’était dur.” La dimension psychologique n’existe pas tellement. Par contre, parfois, on entend un collègue pleurer sous la douche. Mais ne pas en parler, c’est aussi un moyen de défense. » Pour Thomas, la présence du groupe, l’humour, la camaraderie lui permettent de rejeter la mort hors de sa vie, un peu à la façon d’Épicure qui fait de l’amitié le fondement de la vie bonne.

 

Tout faire quand il n’y a « plus rien à faire »

Céline, Valérie et (un autre) Thomas, eux, ne s’occupent que des vivants. Psychologue et infirmiers, ils font partie de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Soudés et chaleureux, ils reçoivent comme ils travaillent : en équipe. « On est là pour faire tout ce qu’il reste à faire quand il n’y a plus rien à faire », glisse Thomas. L’expression « plus rien à faire », que l’infirmier utilise ici ironiquement, est souvent celle que les médecins emploient, au grand dam de l’équipe palliative, pour annoncer à leurs patients que, à ce stade de leur maladie, celle-ci ne pourra plus être guérie. En termes moins choisis, que l’issue désormais certaine est la mort, à une échéance plus ou moins précisément estimable, qui s’évalue en semaines, en mois, voire en années. De façon très logique, jamais, au cours de notre conversation, aucun des trois ne prononcera le mot « mourants ».

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