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Bracelet issu de la culture harappane trouvé sur un site funéraire situé à Rakhigarhi, dans la vallée de l’Indus (Inde). © Gary Todd/flickr_CC

Archéologie

Les bijoux, une histoire vieille comme le monde ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 06 juin 2022 4 min

5 000 ans : c’est l’âge de ce qui serait, selon une étude récente de l'Archaeological Survey of India, la plus ancienne fabrique de bijoux jamais découverte, dont les vestiges ont été exhumés dans la vallée de l’Indus. Le site, associé à la culture harappéenne, en est la preuve : depuis des millénaires, les hommes fabriquent des bijoux pour parer leurs corps. Mais pour quelle raison ? Éclairage avec le philosophe Georg Simmel et l’architecte et archéologue Gottfried Semper.

 

Qu’est-ce donc qu’un bijou ?

Dans son Manuel d’ethnographie (1926), l’ethnologue Marcel Mauss en donne une définition minimale : là où la cosmétique est une « ornementique directe du corps », la parure est présentée comme une « ornementique indirecte du corps ». Les deux ornent, donc. Mais le bijou ne colle pas à la peau, à la différence du tatouage, le plus inscrit des ornements, ou encore du maquillage, qui adhère presque totalement au corps. Le sociologue et philosophe Georg Simmel développe cette idée dans « Psychologie de la parure » (1908) :

« L’extrême opposé [du tatouage], c’est la parure de métal ou de pierre, qui n’est absolument pas liée à un individu et que chacun peut mettre. Entre les deux, il y a le vêtement – qui certes n’est pas aussi inéchangeable et personnel que le tatouage, mais qui est tout de même plus lié à l’individu et moins détachable de lui que la “parure” à proprement parler. Mais c’est précisément dans l’impersonnalité de celle-ci que réside son élégance. Alors que la pierre et le métal sont entièrement clos sur eux-mêmes, ne désignant aucune individualité précise et non modifiables du fait de leur dureté, ils sont malgré tout forcés de servir une personnalité : là est précisément l’attrait le plus subtil de la parure. L’élégance véritable évite l’individualisation extrême, elle instaure toujours une sphère de généralité, de stylisation, pour ainsi dire d’abstraction autour de l’individu – ce qui n’empêche évidemment pas les raffinements par lesquels ce caractère général se lie à la personnalité. »

 

Le cosmos dans la parure

La parure ne cherche pas, contrairement à la cosmétique, à épouser les contours du corps individuel. Elle cherche, bien davantage, à transfigurer l’individualité dans un détail. « Ce qui donne ses coordonnées cosmiques à la parure, c’est sa façon très particulière de réduire le corps, de le concentrer en quelques lignes, motifs, couleurs, en un mot et à la lettre : de l’abstraire », relève le chercheur Bertrand Prévost dans l’article « Cosmique cosmétique. Pour une cosmologie de la parure » (2012). Paré, le corps se place sous le signe d’un « trait » impersonnel du monde : une couleur, une texture, une matière. La parure ne sublime pas l’individualité, elle la reconduit au contraire au monde lui-même, qui englobe toutes les individualité. « Avec la parure, écrit Prévost, c’est le monde qui, transversalement, s’involue : l’unité cosmique ne se saisit pas comme Tout, mais s’éprouve en suivant des lignes ornementales chaosmiques, des traits expressifs. » La parure témoigne d’un « devenir-monde » qui « dilue l’individualité ».

 

S’orienter dans le corps

Cette dimension cosmique, les mots en portent la trace : le kosmon (« parure ») grec évoque immédiatement le kosmos, avec lequel il partage une même racine étymologique. C’est ce que soulignera tout particulièrement l’anthropologue Gottfried Semper dans « De la détermination formelle de l’ornement et de sa signification comme symbole de l’art » (1856), où il développe « une pensée de l’ornement entendu selon cette dimension cosmique ». « Quand l’homme orne un objet, écrit-il, il ne fait qu’accentuer plus nettement de manière plus ou moins consciente une légalité naturelle déjà présente dans l’objet qu’il décore ». Il met en évidence les forces qui organisent le monde. L’« ornement pendant » (boucles d’oreilles, etc.) souligne la « symétrie » et, par son balancement, entre oscillation et équilibre, évoque la la pesanteur. L’« ornement annulaire » (diadème, couronne, collier, etc.) dévoile, de son côté, par son encerclement périphérique, « la position de cœur ou point central des relations qui structurent l’espace » occupée par l’objet décoré. Quant à « l’ornement directionnel » (la coiffe par exemple), il « sert à rehausser la direction et le mouvement du corps », bref, à marquer au coeur même de l’ordre cosmique une dynamique qui entraîne nécessairement son lot de chocs, de collisions, de guerres, etc.

 

De l’ornement à l’ordre

Le philosophe Jacques Soulillou revient sur cette parure cosmique dans Le Livre de l’ornement et de la guerre (Éditions Parenthèses, 2003) : « Si l’ornement sert à mettre de l’ordre, c’est au sens où il permet à l’ordre d’apparaître, comme on dit d’une chose qu’elle apparaît dans la lumière. […] La conjonction soudaine de l’ornement et de l’ordre dans un milieu donné produit un monde – kosmos. […] Il y a kosmos lorsque l’ornement permet au “bon ordre” de se manifester. […] Orner revient à reconnaître et à s’inscrire dans cet ordre cosmique, rendant visible les forces physiques sous-jacentes. »

Bien plus qu’une pratique futile et superficielle à laquelle il est souvent réduit, le bijou possède un sens anthropologique profond. Pas étonnant que l’homme en fabrique depuis des millénaires !

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