Les 7 circuits de la pensée

La déduction

C’est la reine des opérations logiques. La plus abstraite et la plus rigoureuse. Elle ne passe ni par l’observation ni par l’expérience, mais utilise la puissance de la pure pensée. Elle consiste à partir d’un ou de plusieurs énoncés universellement vrais, par exemple : « tous les hommes sont mortels » et « Socrate est un homme ». Puis elle en tire, avec une certitude parfaite, la conséquence logique : « donc Socrate est mortel ». Ce syllogisme, forme de déduction formalisée par Aristote, comporte deux prémisses et une conclusion. Comme dans tout raisonnement déductif, on va du général au particulier, on crée des enchaînements qui s’articulent strictement. Encore faut-il être sûr de la vérité des prémisses. Descartes perçoit bien la difficulté. S’il considère la déduction comme la « conclusion nécessaire tirée d’autres choses connues avec certitude » (Règles pour la direction de l’esprit, vers 1628-1629), la vérité du point de départ dépend de quelque chose qui n’a rien à voir avec les enchaînements logiques et qui s’appelle l’intuition, c’est-à-dire la « conception d’un esprit pur et attentif, si facile et si distincte qu’aucun doute ne reste sur ce que nous comprenons ». Or cette vue par l’esprit, ajoute Descartes, est « plus sûre que la déduction elle-même »…

Exemple

Tous les présidents américains sont chefs des armées. 

Donald Trump est président des États-Unis. 

Donc il est chef des armées.

Le commentaire d’Antoine Bordes

« L’IA peut mener un raisonnement sur un cas précis, aboutir à des conclusions rigoureuses et vérifiables, mais à une échelle bien supérieure à ce que peuvent faire les humains »

“L’intelligence artificielle (IA) classique est fondée sur la déduction. Dès les années 1970, les chercheurs ont développé un langage nommé Prolog. À partir de principes et de règles logiques, cette intelligence est capable de mener un raisonnement sur un cas précis, d’aboutir à des conclusions rigoureuses et entièrement vérifiables. Bref, à refaire des syllogismes, tel : “tout mammifère allaite ses petits, le panda est un mammifère, donc le panda allaite ses petits” – mais à une échelle bien supérieure à ce que peuvent faire les humains. Des ordinateurs ont démontré des théorèmes que les hommes ne parvenaient pas à prouver, comme le théorème des quatre couleurs. En 1976, il a fallu faire appel à la déduction par ordinateur pour étudier les 1 478 cas critiques et prouver qu’en n’utilisant que quatre couleurs, on pouvait colorier n’importe quelle case d’un tableau quadrillé de manière complexe, sans que les zones adjacentes aient la même couleur.

La déduction par l’IA a néanmoins rencontré ses limites. Tout d’abord, il faut formuler toutes les règles, ce qui est très fastidieux. De plus, l’intelligence n’apprend pas quelque chose de nouveau mais exprime juste notre connaissance du monde sous forme de règles. Il est par ailleurs impossible de créer une base qui contiendrait des connaissances sur tous les objets du monde. Tel était le projet CYC, lancé en 1984 aux États-Unis. On a rempli des cases avec tous les objets existants, par exemple, tous les modèles de toutes les marques de voiture, sous différentes catégories. Mais on s’est rendu compte que de nouveaux objets apparaissent constamment, qui contraignent à créer sans cesse de nouvelles catégories, comme celle de la voiture amphibie. C’est sans fin.

L’induction

L’induction va dans le sens inverse de la déduction. Au lieu de partir d’un énoncé universel et d’en tirer une vérité sur un fait particulier, elle part de l’observation du particulier et s’élève vers le général. Puisque je vois le soleil se lever tous les matins à l’est depuis mon enfance, je peux en induire la règle selon laquelle « le soleil se lève à l’est ». L’induction permet de faire un saut décisif du fait à la loi, de la pure répétition circonstancielle à la généralité d’une vérité. Reste qu’au fond, elle est extrêmement fragile. Elle ne repose que sur l’habitude, et la vérité qu’elle exprime risque de s’effondrer à tout instant, comme en témoigne cette petite histoire inventée par le logicien britannique Bertrand Russell (1872-1970). Une dinde sait que tous les matins, lorsque s’ouvre la porte du poulailler, un humain va entrer et verser du grain dans son bol. C’est le moment de se mettre à table, et la dinde en rumine joyeusement l’induction suivante : « tous les matins, on me donne à manger ». Ce matin-là, notre dinde attend la vérification de sa loi. Mais il y a quelque chose qui cloche… Le maître n’apporte pas de grains. Et il a une hache à la main. Nous sommes le 24 décembre, et cette fois ce n’est pas la dinde qui va se régaler… L’induction doit compter avec les aléas du réel.