Leo Strauss, superstar chinoise
Quelque peu délaissé en Europe, son nom n’a pourtant pas été oublié partout : à l’autre bout de la planète, le philosophe allemand Leo Strauss (1899-1973), dont la pensée le classe en général parmi les rangs conservateurs, suscite une véritable passion – la « fièvre de Strauss » (施特劳斯热) – chez les intellectuels et les hommes politiques. Une influence qui permet de mieux comprendre en retour la nouvelle ligne idéologique adoptée par la Chine sur la scène internationale.
« Pourquoi les États-Unis prônent-ils le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale sur la question ukrainienne mais ne respectent-ils pas la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine sur la question de Taïwan ? Pourquoi demandent-ils à la Chine de ne pas fournir des armes à la Russie alors qu’ils en vendent depuis longtemps à Taïwan […] ? » Pour sa première conférence de presse, le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang s’est voulu résolument offensif à l’égard des États-Unis. Comment expliquer ce deux poids, deux mesures de la part des Américains qui, aux yeux de Qin Gang, s’absolvent des règles qu’ils veulent imposer aux autres ? N’est-ce pas le signe que les Américains continuent de se considérer sur le mode de l’exceptionnalisme moral, donnant des leçons au monde entier comme s’ils étaient investis d’une mission supérieure plutôt que de traiter d’égal à égal avec les autres nations ? Pour le nouveau ministre chinois, les États-Unis n’incarnent pas le Bien, pas plus que la Chine ou d’autres n’incarnent le Mal. Les relations internationales demandent un peu plus de subtilité. Elles ne peuvent simplement s’évaluer à l’aune de normes morales abstraites mais doivent prendre en compte une certaine relativité des valeurs qui y dialoguent. Le philosophe Leo Strauss n’aurait pas désapprouvé.
Figure discrète peu connue de la tradition occidentale, Leo Strauss compte aujourd’hui parmi les références philosophiques les plus étudiées à l’autre bout du monde, en Chine. Pour comprendre cette vogue, il faut revenir sur l’histoire de son importation en fait assez récente dans l’empire du Milieu. Comme le résume Hengying Rong dans son article « La réception de Leo Strauss en Chine. Deux straussiens chinois, entre tentation théologique et critique du politique » (2019), il faut attendre 1985 pour qu’un premier ouvrage de Strauss – What is Political Philosophy ? – y soit traduit. « On ne distingue pas encore d’intérêt particulier pour Strauss lui-même. […] Il faut attendre les alentours des années 2000 », en particulier la parution de La Docilité du hérisson du philosophe Liu Xiaofeng, pour que Strauss commence à susciter l’attention. C’est finalement entre 2011 et 2013 qu’a lieu une « traduction massive des ouvrages de Strauss ».
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