L’éléphant quantique au milieu du salon de beauté

« Aujourd’hui, c’est tempête dans un pot de crème. Les commentaires sardoniques s’abattent sur la crème quantique Orchidée Impériale Gold Nobile comme les sauterelles sur les blés dorés du pharaon de l’Exode. La société Guerlain qui vantait ainsi “une nouvelle voie de réjuvénation cosmétique pour la peau née de la science quantique” – 650 euros le pot de 50 centilitres – a dû faire machine arrière toute. Question : à quel moment une publicité mensongère devient-elle trop mensongère ?

“Grâce aux pouvoirs concentrés d’une orchidée prodigieuse, l’orchidée Gold Nobile, la technologie Gold Quantum™ aide à restaurer la lumière quantique d’une cellule jeune à l’échelle de l’infiniment petit pour accélérer la réjuvénation visible de la peau.” Rien ne manquait au storytelling de Guerlain : vingt ans de recherche (c’est long) pour identifier parmi 30 000 espèces (c’est beaucoup) une fleur endémique de l’Himalaya (c’est bourré de centenaires), une orchidée (c’est érotique). Sans compter la filiation avec les travaux d’Alexandre Gourvitch, prix Staline 1941, qui a inspiré des théories relevant davantage de l’ésotérisme que de la science. Un scénario aux petits oignons, mais un tombereau de critiques tellement massif que Guerlain a publié un communiqué indiquant que “la société a pris acte des interrogations ou risques de confusion autour de l’utilisation du terme quantique. […] et a donc décidé de repréciser sa communication afin de lever toute ambiguïté.”

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Cela induit trois questions.

1. Restaurer ma lumière quantique, est-ce que c’est con ? Oui, absolument, totalement, et sans ambiguïté. Le jour où mes cellules se mettront à émettre de la lumière laser, c’est le chat qui va être content. Le terme “lumière quantique” fait référence à la possibilité de créer des sources de photons uniques d’une part (voir, par exemple, les labos d’optique quantique de l’ENS/CNRS ou PSL), à celle d’intriquer des photons (des chercheurs de Bâle et de Sydney ont annoncé l’avoir fait il y a quelques mois). Pour plus de détails sur la nature quantique de la lumière et sur l’intrication, je vous suggère la lecture de l’entretien que nous avait accordé le prix Nobel de physique 2022 Alain Aspect. C’est pour le coup lumineux ! En ce qui concerne les biophotons guerlainesques, il y a un bon article de l’Association française pour l’information scientifique ici qui explique en quoi, pour le coup, ils ne sont pas très lumineux, eux.

2. Mettre le mot quantique au service de publicités mensongères est-ce nouveau ? Non, je me vois encore, à l’époque de l’expérience d’Aspect justement, jeune journaliste recevant dans mon bureau quatre ou cinq émissaires de la Méditation transcendantale. Je ne me souviens plus des détails, mais il était question de faire léviter une assemblée d’adeptes. Aujourd’hui, il suffit de taper “marketing quantique” dans la barre de recherche Google pour trouver de multiples propositions promettant de s’adapter quantiquement au consommateur de demain.

3. Si ce n’est pas neuf, pourquoi subitement cette tempête ? Pourquoi clouer Guerlain au pilori plutôt qu’une entreprise bio qui vend un patch quantique, une autre qui propose un soin quantique de l’âme par Zoom (“pratiqué à l’aide des clés d’harmonisation”, 120 euros pour une heure trente) ou même Amazon qui vend un quantum vibromasseur (favorisant l’oscillation harmonique, je suppose) ? C’est simple : de temps en temps, trop c’est trop. Trop de luxe, trop d’argent, trop de bullshit, dirait Harry Frankfurt. On doit au philosophe américain un double constat : primo, que “le respect de la vérité et le souci de la vérité font partie des fondements de la civilisation. […] La connerie est l’une des déformations de ces valeurs”. Le menteur, précisait-il dans De l’art de dire des conneries (2005) “tient compte de la vérité et, dans une certaine mesure, la respecte”. Secundo, qu’à l’inverse, “le baratineur n’est pas tributaire de telles contraintes : il n’est ni du côté du vrai ni du côté du faux. […] Il se moque de savoir s’il décrit correctement la réalité. Il se contente de choisir certains éléments ou d’en inventer d’autres en fonction de son objectif”.

La bonne nouvelle, c’est qu’un tas de gens réagissent. Comme si Guerlain, au moins pour un instant, concentrait l’ensemble des frustrations de ceux qui ressentent que le plus gros éléphant au milieu du salon, c’est celui de la post-vérité.

Avec cela, je me suis regardé dans le miroir ce matin, je ressemble à un sharpeï bougon, faut vraiment que je me trouve une crème. »