Biographie

Leibniz. Le génie tout-terrain

Mathilde Lequin publié le 10 min

Pour Leibniz, l’univers est composé de « monades », petits éléments parfaitement fermés sur eux-mêmes. Or, dans sa vie, le philosophe semble avoir été lui-même un individu aussi génial qu’hermétique aux chocs.

Singulier individu que ce Gottfried Wilhelm Leibniz : si l’Univers tout entier résonne dans son œuvre, l’homme, lui, ne semble rendre aucun son. Hermétique aux passions amoureuses comme aux tentations du monde, le philosophe allemand s’apparente, comme s’en amuse Diderot, à une « machine à réflexion » que les cahots de son siècle ne réussiront jamais à enrayer. Métaphysicien et mathématicien, Leibniz est pourtant un génie tout-terrain ; jetant des ponts entre les disciplines les plus variées, il pratique aussi bien le droit dans les tribunaux que la géologie dans les mines… Voici donc un homme paradoxal, aussi effacé sur le plan personnel que son œuvre est ambitieuse, puisqu’il est l’architecte d’un système philosophique destiné à rendre compte de l’intégralité du réel. Une question, d’ailleurs, fascine entre toutes cet être sans qualités saillantes, d’humeur toujours égale : celle de l’individu, qu’il finit par concevoir comme un « miroir vivant » de l’Univers, composé d’unités appelées « monades ». « Les monades n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. » Tout comme leur inventeur ? Leibniz aime trop les plis et les jeux de miroirs pour se contenter d’un reflet si direct. Reste que la Monadologie n’est pas sans évoquer l’histoire d’un homme qui rêvait de refléter la totalité de l’Univers, et qui, à sa manière, aura vécu sans fenêtres, pour mieux exprimer l’infini…

Né le 1er juillet 1646 à Leipzig, il est le dernier enfant d’une famille luthérienne et érudite, auquel on prédit, dès son baptême, une destinée singulière. Orphelin de père à 6 ans, l’enfant prodige déchiffre au même âge le latin en autodidacte… Adolescent, c’est à la classe de logique que vont toutes ses ardeurs : il rêve d’« inventer un alphabet des pensées humaines » qui pourrait logiquement exprimer l’ensemble du monde. Il esquisse, quelques années plus tard, cette langue (ou « Caractéristique ») universelle dans L’Art combinatoire, dont Jean-Sébastien Bach s’inspirera pour composer. Admis à l’université à tout juste 15 ans, il y découvre les philosophes modernes – Hobbes, qui soutient que penser c’est calculer, l’intéresse particulièrement – et étudie les mathématiques. Puis, en 1663, il rend sa thèse de baccalauréat, consacrée au principe d’individuation : qu’est-ce qui fait qu’un individu est un ? Il pose la question d’un point de vue logique (l’individu est un sujet dont on affirme ou nie certaines caractéristiques) et métaphysique (une substance est toujours discernable de toute autre, de même qu’il est impossible de trouver deux feuilles parfaitement identiques).

Quelques mois plus tard, Leibniz abandonne tout pour la jurisprudence. Un fougueux virage dans une jeunesse trop sage ? Si le jeune philosophe délaisse les bibliothèques pour les tribunaux – il passe directement à la pratique, puisqu’il maîtrise déjà la théorie du droit –, ce n’est que pour exercer son esprit logique selon un autre point de vue, jugé plus utile à son pays. Marqué par les paysages dévastés de son enfance – les États germaniques sortent tout juste de la terrible guerre de Trente Ans –, Leibniz désire en effet œuvrer au redressement de sa patrie. Ce qu’il estime faire davantage à la cour de Mayence, où il est nommé Conseiller de révision à la chancellerie, qu’à l’université, où il refuse un poste de professeur de droit.

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