Le retour des surhommes

Ludivine Thiaw-Po-Une publié le 4 min

Sujet sensible, l’eugénisme oppose deux philosophes outre-Rhin. Face à Peter Sloterdijk qui considère la programmation génétique comme un processus d’amélioration, Jürgen Habermas défend l’égalité des hommes devant la loterie naturelle.

En 1998, Jürgen Habermas, seul philosophe exerçant un magistère intellectuel outre-Rhin, expose ses arguments contre le clonage non thérapeutique dans les deux plus grands journaux allemands, Die Zeit et Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il appelle à légiférer contre ce qu’il appelle le « clonage libéral », présenté comme le droit laissé aux parents de contrôler l’héritage génétique de leurs enfants. Trois ans plus tard, dans L’Avenir de la nature humaine, il radicalise son propos en soulevant la question de l’eugénisme. Une allusion, dans l’avant-propos, à l’« élevage humain » donne la clé de cette montée en puissance. Elle vise Peter Sloterdijk, brillant essayiste qui avait, en 1999, suscité un beau scandale en publiant Règles pour le parc humain. Évoquant Nietzsche, Peter Sloterdijk y replaçait les interventions génétiques dans le processus de civilisation. L’homme n’a cessé de domestiquer son espèce en sélectionnant les instincts qui améliorent l’humanité. Ce bref ouvrage se demandait pourquoi, à l’avenir, la connaissance des gènes et leur manipulation n’entreraient pas dans un programme de « planification explicite des caractéristiques » des individus. Peter Sloterdijk approuvait-il une telle perspective ? En tout cas, il ne l’écartait pas. La presse dénonça une sympathie pour l’eugénisme,  idée qui, en Allemagne, fait irrémédiablement écho au passé nazi. À quoi Peter Sloterdijk répliqua que, derrière cette cabale, il fallait voir à l’œuvre Jürgen Habermas, incapable de se demander si le devenir de l’humanité, en intégrant de nouvelles pratiques sélectives, n’allait pas requérir un réaménagement de l’humanisme démocratique.

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