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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Henry Windsor, duc de Sussex, dit le prince Harry, le 18 juillet 2022 à New York (États-Unis). © Spencer Platt/Getty/AFP

Point de vue

Le prince Harry, comédien et martyr

Maurizio Ferraris publié le 18 janvier 2023 5 min

Pour le philosophe italien Maurizio Ferraris, Le Suppléant, l’autobiographie à scandale du prince Harry qui vient de paraître, n’est pas tant une manifestation de narcissisme qu’un exercice d’auto-humiliation qui rappelle Les Confessions de saint Augustin. Voici pourquoi.


Si Madame Bovary avait raconté sa vie à Flaubert, nous nous serions retrouvés avec le même texte que le roman. Avec, toutefois, une question en plus : pourquoi Emma a-t-elle raconté des faits qui la révèlent pour ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire une pauvre imbécile ? Par amour de la vérité ? Au XVIIIe siècle, les philosophes considéraient l’autobiographie comme la forme la plus parfaite de connaissance historique. Dans ce genre, en effet, le sujet et l’objet de la narration ne font qu’un. Tandis que l’historien allemand Theodor Mommsen devait fournir des efforts incommensurables pour pénétrer la vie des Césars, Goethe, qui se raconte dans Poésie et Vérité (1811-1833), ne peut se tromper, parce qu’il est déjà lui-même, il connaît ses actions et ses motivations. Il est même le plus grand spécialiste en la matière. Bien sûr, il s’agit d’une croyance naïve, puisque, bien souvent, les gens se connaissent tellement mal qu’ils vont chez un psychologue pour savoir qui ils sont vraiment, ou bien le découvrent à travers le récit d’une tierce personne.

“Le fait de dire la vérité sur soi-même absout celui qui se confesse, sa sincérité passant avant tout”
Maurizio Ferraris

 

Dans le cas de l’autobiographie victimaire du prince Harry, nous avons affaire à un cas différent, celui de l’auto-calomnie. Le fait de dire la vérité sur soi-même absout celui qui se confesse, sa sincérité passant avant tout. En ce sens Le Suppléant est très proche des Confessions de saint Augustin. Dans le dixième livre de cet ouvrage, Augustin se demande quel sens il y a à se confesser à un être omniscient. Dieu, en effet, sait déjà tout de lui, plus que lui-même – les secrets de son futur, et peut-être de son passé, qu’Augustin ignore. Alors qu’il arrive à la fin de son récit, Augustin ne se renie pas, ne choisit pas le silence, ne brûle pas son manuscrit. Il fonce droit devant lui parce qu’il dit vouloir faire la vérité, non seulement face à Dieu, en confession, mais aussi par écrit, face à ses nombreux témoins.

“La couverture médiatique dont Harry se plaint est en tout point comparable à la connaissance que Dieu a d’Augustin”
Maurizio Ferraris

 

Mutatis mutandis, il s’agit de la stratégie de Harry, avec en plus une solide motivation financière, un contrat de 40 millions de dollars. Ce n’est certes pas une marque de sainteté, mais un signe indiscutable de la bénédiction divine, au moins dans une optique calviniste. Contrairement à ceux qui écrivent des autofictions pour se rendre célèbres en même temps que leurs victimes, le mécanisme consistant à proclamer, comme Samson dans la Bible, « Que je meure avec les Philistins ! » ne fonctionne pas, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a ici aucun secret. Le problème fondamental de Harry est au contraire celui d’une vie passée sous le feu constant des projecteurs. La couverture médiatique dont il se plaint est en ce sens en tout point comparable à la connaissance que Dieu a d’Augustin. Et tandis qu’il continue à déplorer les manipulations des tabloïds, ses lecteurs post-freudiens peuvent légitimement se demander s’il ne s’auto-calomnie pas.

La presse affirme que Harry a un penchant pour la boisson. Lui raconte en détail ses descentes de bière, tequila, vodka, gin et autres, et conseille même un cocktail à base de whisky agrémenté de gouttes provenant d’une rivière africaine. Les médias disent que Harry fume de la marijuana ? Non seulement il confirme, mais il surenchérit : il fume aussi une herbe africaine beaucoup plus puissante, et se fait des trips aux champignons hallucinogènes qui lui permettent de découvrir son « vrai moi ». On le dépeint comme un ignorant ? S’il y avait encore des doutes concernant ses capacités littéraires, après l’intervention évidente d’un ghostwriter pour ses mémoires, Harry publie des lettres écrites de sa main à Meg. La presse insinue qu’il est un lâche ? Il raconte une carrière militaire passée derrière un écran d’ordinateur ou aux manettes d’un hélicoptère, activités qui ont plus en commun avec une partie de chasse qu’avec une véritable guerre. La presse insiste en le traitant d’abruti ? Harry écrit que Meg n’a aucune idée de la composition de la famille royale. Mais pourquoi agit-il ainsi ?

“Au temps d’Augustin, la vérité n’est plus avouée au prix de la vie physique mais à celui de l’existence sociale – ce qui est certainement le destin réservé à Harry”
Maurizio Ferraris

 

Le narcissisme est une explication insuffisante et moralisatrice. C’est d’autant plus vrai dans le cas de Harry. Ce qui anime ces confessions atteste au contraire d’une volonté de s’humilier.  Exactement comme Augustin. À l’époque de l’évêque d’Hippone, les confessions s’effectuaient en public, dans le but délibéré de faire subir au pécheur, à travers le sacrifice de son amour-propre, une version adoucie du martyre. C’est un thème qui revient dans les œuvres de ses mentors Ambroise de Milan et Tertullien. Dans les premiers siècles après la mort du Christ, les martyrs témoignaient de leur foi au prix de leur vie. Dans l’Empire christianisé, ce témoignage extrême n’est plus possible. Il ne reste donc que la voie de l’autoflagellation, du crachat en public, de la parésie. La vérité n’est plus avouée au prix de la vie physique, comme dans le cas de Socrate ou des martyrs, mais à celui de l’existence sociale – ce qui est certainement le destin réservé à Harry.

Je n’ai ni l’envie ni les compétences pour pénétrer dans le fond de l’âme de Harry comédien et martyr. Mais j’imagine que dans sa demeure californienne de Mendocino, parmi les désagréments liées aux inondations et aux disputes avec Meg, il s’est approché le plus possible de sa mère morte sous le tunnel du pont de l’Alma, à Paris. Je ne considère pas, quant à moi, que Diana Spencer soit morte en martyre. Mais je suis certain que le parrèsiaste Harry est d’un avis différent et qu’il se sent comme Diana, dont la dernière lueur de vie a été accompagnée d’une pluie de flashs. Quant à moi, lecteur hypocrite, j’ai dévoré Le Suppléant non pas comme un roman, genre qui a arrêté de me passionner depuis les excès de l’adolescence et de la jeunesse, lorsque j’essayais d’apprendre à vivre, mais comme une confession publique et un martyre – sans jaillissement de sang. Et comme la lecture des Vies de Plutarque peut avoir un effet déprimant, parce qu’il nous parle d’âmes plus grandes que les nôtres, je soupçonne les confessions de Harry d’avoir un effet galvanisant. Car, quels que soient les doutes que l’on puisse avoir sur la possibilité d’apprendre à vivre, il est difficile de ne pas se sentir plus expert que ce débutant absolu.

[Ce texte est initialement paru dans le quotidien italien Corriere Della Sera]

Traduit par Stefania Gherca
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