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Harry Potter à l'école des sorciers. ©Warner Bros./Heyday Films/collection ChristopheL.

Mythologies

Harry Potter et le sens philosophique de la pierre philosophale

Octave Larmagnac-Matheron publié le 04 janvier 2022 6 min

Il y a vingt ans paraissait le film tiré du premier volume de la saga Harry Potter imaginée par JK Rowling, intitulé (en anglais) Harry Potter et la pierre philosophale (Harry Potter à l’école des sorciers dans l’édition française). Comment expliquer cette fascination pour le grand œuvre alchimique qui hante nos imaginaires et nos fictions ? Le point de vue de la philosophie, de la psychanalyse… et de Voldemort. 

 

La quête première et puérile de la pierre

« Il n’y a plus guère que des philosophes pour chercher, sinon la pierre philosophale, du moins l’idée philosophale qui expliquerait le monde. Pour l’esprit préscientifique, la séduction de l’unité d’explication par un seul caractère est toute-puissante. » 

C’est par ces quelques mots que Gaston Bachelard résume, dans La Formation de l’esprit scientifique, l’entreprise alchimique qui culmine dans la fabrication de la pierre philosophale. 

De la portée psychologique de cette quête d’un principe unique d’explication, le philosophe ne dit cependant pas grand-chose, sinon qu’elle révèle une certaine puérilité de l’esprit : une volonté enfantine quasi magique de tenir les secrets du monde dans sa main, dont la première aventure d’Harry Potter pourrait être la mise en abyme, en une forme d’inversion : Voldemort a beau être le plus cruel des hommes, il est aussi le plus puéril d’entre eux dans la mesure même où il cherche le plus avidement la pierre.

 

Vers un « Soi » authentique

C’est cette dimension psychologique qui, précisément, intéressera le psychanalyste Carl G. Jung, dans Psychologie et Alchimie (1944). À ses yeux, la quête de la pierre philosophale symbolise, en parallèle du travail concret qu’elle effectue sur la matière, un mouvement souterrain par lequel l’homme s’élève à un « Soi » authentique. Ce qu’il nomme « individuation » : « L’opus […] a pour but l’élévation de l’homme jusqu’à la sphère de l’Anthropos. L’œuvre du philosophe alchimiste est indubitablement orientée vers un accomplissement plus élevé de soi, vers la réalisation de l’homme major. […] L’Homo maximus apparaît comme une totalité » réconciliée avec elle-même. Un « homme total » quasi divin. Le grand œuvre alchimique dépasse les contraires et permet d’atteindre la « réunion de toutes les parties de l’homme », de la raison et de l’imagination, du conscient et de l’inconscient. Raison pour laquelle, selon Jung, nos rêves et fantasmes, qui attestent de ce mouvement de réunion, sont toujours traversés par des motifs alchimiques de transmutation. Le cheminement labyrinthique, crypté, ésotérique, de la recherche alchimique témoigne de ce lent processus d’harmonisation. 

Étonnamment, Harry Potter fait presque le parcours inverse : la pierre philosophale est présente dès le départ, mais le jeune homme ne s’en servira jamais au cours d’un cheminement où il apprend, précisément, le tragique du réel auquel la magie ne peut rien. Tout le contraire de Voldemort, qui utilise dès le départ la pierre pour réunir dans un semblant de corps les fragments de son âme, afin de reprendre son entreprise de domination totale.

 

L’exigence de purification

La double dimension de l’ambition de Voldemort – transfiguration de soi et transfiguration du monde à son image – s’atteste dans les deux fonctions principales prêtées à la pierre philosophale : transmuter la materia prima inconsistante en or incorruptible et conférer l’immortalité à l’homme (en le protégeant de toute maladie, de toute forme de corruption). Souci de purification de l’être qui est le cœur du projet tyrannique du mage noir, qui rêve d’un monde où les seuls sorciers seraient de sang pur. 

L’anthropologue Mircea Eliade, lecteur attentif de Jung, observe cette exigence d’une purification double et indissociable de soi et du monde dans Alchimistes et Forgerons (1956) : « L’adepte doit se transformer lui-même en Pierre philosophale. » La pierre doit lui permettre d’atteindre « certains états de conscience inaccessibles à la condition profane », « une nouvelle conscience initiatique », « un autre plan d’existence spirituelle ». « Du fait que les processus alchimiques se déroulent dans le corps même de l’adepte, la “perfectibilité” et la transmutation des métaux correspondent, en réalité, à la perfection et à la transmutation de l’homme. » 

Cette conjonction des deux mouvements est tout sauf fortuite. Car pour se réconcilier avec soi-même, il convient que l’homme se réunisse avec le monde. Si « l’opus alchymicum est en réalité le processus d’individuation, par lequel on devient le Soi », cette individuation est impossible sans harmonisation avec le cosmos matériel, sans réconciliation de l’esprit et de la matière.

 

Chez Voldemort, le désir d’une domination de la matière

Voldemort n’atteindra jamais cet état de réconciliation. Et pour cause : s’il désire posséder la pierre, il ne l’a pas créée, il n’a pas enduré les épreuves de sa création, et s’est contenté d’essayé de la dérober.  Son objectif n’est pas celui d’une harmonisation mais d’une domination de la matière et d’une émancipation à l’égard de la finitude du monde, là où pour l’alchimiste, le destin de la matière et celui de l’esprit ne font plus qu’un, et leur finalité est la même : « En assumant la signification initiatique du drame et de la souffrance, écrit Mircea Eliade, la Matière assume aussi le destin de l’Esprit. Les “épreuves initiatiques”, qui, sur le plan de l’Esprit, aboutissent à la liberté, à l’illumination et à l’immortalité, conduisent sur le plan de la Matière à la transmutation, à la Pierre philosophale. » 

C’est ici que s’enracine le principe qui sous-tend toute la pensée alchimique : l’analogie du microcosme et du macrocosme. Les deux dimensions de l’existence en passent par le même parcours initiatique, dont le but final est au fond le même : une libération à l’égard du temps et de la mortalité inhérente au devenir.

La chose est particulièrement évidente dans le cas de l’immortalité humaine conférée par la pierre, qui est au fond le seul aspect auquel Voldemort tienne. Mais la libération est tout aussi fondamentale dans le cas de la nature. « L’affranchissement de la Nature de la loi du Temps allait de pair avec la délivrance de l’adepte », poursuit Eliade. L’objectif est à chaque fois de faire parvenir l’être à « la maturité et [à] la perfection ». La pierre philosophale permet, aux yeux des alchimistes, d’« accélérer », jusqu’à atteindre une quasi-immédiateté, les processus aussi lents que secrets qui président aux transmutations naturelles de la matière. « La Pierre réalisait ce miracle : elle supprimait l’intervalle temporel qui séparait la condition actuelle d’un métal “imparfait” (“cru”) de sa condition finale (lorsqu’il serait devenu de l’or). La Pierre réalisait la transmutation presque instantanément : elle se substituait au Temps. »

Ce dépassement du temps a quelque chose de paradoxal, car l’adepte n’atteint presque jamais le but qu’il s’est fixé. Comme le note Bachelard, « les longues manœuvres pour atteindre la pierre philosophale viennent valoriser la recherche. Souvent la longueur des chauffes est présentée comme un sacrifice pour mériter le succès. C’est de la patience valorisée, une espèce de broderie aux mille points, inutile et charmante, la tapisserie de Pénélope. Le temps doit être inscrit dans l’œuvre : d’où les délais et les répétitions réglées. » Il faut un effort infini pour se faire Dieu – le fantasme de Voldemort, évidemment.

 

Sauver le monde ?

Mais l’oeuvre alchimique ne s’en tient pas à la connaissance : « Le concept de la transmutation alchimique est le couronnement fabuleux de la foi à la possibilité de changer la Nature par le travail humain », selon Eliade. Mais cette prééminence du travail humain n’est pas, au contraire de ce que dira Descartes de la science moderne, un geste d’appropriation et de domination : elle participe d’une sanctification, d’une sublimation de la matière. Le grand œuvre « comportait toujours, ne l’oublions pas, une signification liturgique », car la nature est considérée « comme sacrée ou susceptible d’être hiérophanisée ». Elle ne l’est pas encore, justement. La nature est imparfaite, frappée par la dégénérescence et la corruption. Il revient à l’alchimiste d’obtenir « la liberté de changer le monde, de le “sauver” ». 

Comme le montrait Jung, que reprend Eliade, l’alchimiste fait œuvre de rédemption : « L’alchimie reprend et prolonge le christianisme. […] Le christianisme a sauvé l’homme, mais non la Nature. […] L’alchimiste rêve de guérir le Monde dans sa totalité. » La tâche alchimique est, à tous les points de vue, une œuvre de transfiguration de la totalité, comme le remarquait en premier lieu Bachelard, sans en prendre absolument la mesure. 

C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, le couronnement du cheminement de l’alchimiste demeure insaisissable : parfois une pierre, parfois un élixir liquide, parfois une poudre. Le grand œuvre se refuse à toute identification précise. Il est aussi indiscernable que la materia prima, la matière d’origine, qu’il s’agit de transmuter. Au fond, ce qui est en jeu n’est pas un objet délimité, mais le cosmos lui-même, et l’homme qui y trouve son sens. L’unus mundus, le monde unifié, disent les alchimistes. Fantasme au cœur de tout fantasme de communion, auquel Harry Potter, à la différence de Voldemort, nous invite en un sens à renoncer. La magie ne peut pas tout. Il y a, ici-bas, de l’irréparable, de l’irréversible, de l’irréconciliable. C’est ce qui constitue le tragique de notre existence, mais aussi sa joie. 

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