“Le Livre des larves”, de Marion Zilio
Elles nous écœurent, nous terrifient, nous donnent la chair de poule et parfois même envie de vomir… Les larves font l’unanimité contre elles. Figures grouillantes d’un imaginaire collectif horrifique, les larves inspirent le dégoût comme rarement. « Pourquoi vouloir exclure l’immonde du monde ? », se demande la critique d’art Marion Zilio dans son récent essai paru aux PUF, Le Livre des larves. Elle se donne pour objectif de réhabiliter ces bestioles honnies, dans une perspective à la fois esthétique, écologique et politique.
La détestation des larves est-elle vraiment justifiée ? « Alliées de la justice » dans l’élucidation d’affaires criminelles (car permettant de dater la mort d’une personne), les larves sont aussi des figures positives de la métamorphose et du collectif, selon l’autrice. Les parasites sont des « faiseurs de monde », au sens propre comme au figuré, dont nous aurions beaucoup à apprendre. Creusons un peu ce plaidoyer en faveur des larves pour mieux comprendre nos éventuels préjugés…
Un dégoût ancestral
Les larves suscitent le rejet depuis des millénaires. Chez les Romains, les larves sont « les âmes des méchants qui errent ça et là pour tourmenter les vivants ». Ces insectes grignotent notre corps après la mort, un privilège qui nous les rend particulièrement détestables : « Que ces êtres abjects délivrent le secret de notre fin est sans doute l’affront le plus intolérable lancé à notre humanité », explique Marion Zilio. D’où le frisson d’effroi qui nous saisit lorsque nous voyons quelqu’un plonger la main dans un sac d’asticots. C’est comme si la personne anticipait sa propre mort. Les larves témoignent ainsi de la vanité de notre existence, qui consiste à « être matière et disparaître ». S’en faire des compagnons de route, comme l’artiste Gina Pane qui se recouvre le visage de larves dans sa performance Action Death Control (1975), représente une véritable transgression… qui ne va pas sans une certaine fascination, pour qui ose soutenir le regard.
Le masque de la métamorphose
Le terme latin larva est l’un des mots qui signifie « masque », un objet dont on considérait qu’il faisait le lien entre les morts et les vivants. Bien que les larves nous apparaissent dans leur plus simple appareil (elles sont blanches ou grisâtres, lisses et sans membres), elles contiennent la promesse de métamorphoses à venir. Les larves vont en effet se changer en insectes infiniment variés et se doter à cette occasion de têtes ressemblant à des masques. La larve incarne un passage de la simplicité à la complexité, elle est cette « personnalité unique qui se conserver sous des formes multiples », pour Marion Zilio. Les êtres humains seraient-ils jaloux de cette plasticité dont ils sont privés ? C’est une lecture possible. Une autre approche avancée par Marion Zilio consiste à s’inspirer de ces métamorphoses pour se penser soi-même comme un être en devenir permanent : « L’état larvaire insiste sur le fait que nous demeurons à jamais indéfinissables aussi bien à nous-mêmes qu’aux autres ». Mais cela suppose de reconnaître une part de larve en soi.
« Des faiseurs de mondes »
Eh oui, vous regarderez peut-être votre jardin différemment la prochaine fois que vous tomberez nez à nez avec un verre de terre, autre bestiole scrutée à la loupe par Marion Zilio. En partant de l’idée que les lombrics travaillent la terre et nous permettent donc d’habiter le monde, l’autrice nous engage à changer complètement de point de vue sur eux et leurs semblables. « Les larves décentrent notre perception et nous exhortent à adopter le point de vue de la vie, afin de penser les relations multiples et intersubjectives entre tous les êtres et leur milieu. » Si chaque larve est destinée à un avenir singulier, elles forment ensemble un collectif « inclusif » où le principe de vie commune est « la symbiose ». « Perdre son individualité et s’assimiler au décor » devient alors un mode de vie désirable, telle une utopie où chaque individu se réalise pleinement dans le collectif.
L’être humain, un parasite ?
Si la métaphore a quelque chose de séduisant, la question finale à laquelle elle mène vire à l’excès. L’autrice du Livre des larves inverse la perspective au point d’affirmer que les humains sont, à leur manière, des parasites, car ils ne sont pas autosuffisants : « La prédation est une forme extrême de parasitisme. Plus qu’un prédateur, l’être humain est un parasite, au même titre que le pou. » Un refrain quelque peu éculé, qui affaiblit le propos général… On est tenté d’objecter que c’est tout le vivant, à ce train, qui tient du parasitisme ! Pas seulement les êtres humains ni « le capitalisme, qui exploite et rend malade ». Reste que Marion Zilio parvient à infléchir notre haine viscérale de la vermine pour en faire un éloge à la fois politique et esthétique : « Les larves comme les parasites sont les petits, les méprisés, les invisibles, la masse des travailleurs de l’ombre. » Ces organismes dépourvus d’oreilles, de bouche et d’yeux seront-ils seulement sensibles à cette déclaration de paix ?
Sorti en 2020 aux Presses Universitaires de France, Le Livre des larves, de Marion Zilio, est disponible ici.
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