Le jour où j’ai pris un coup de vieux
Quatre écrivains, romanciers et philosophes, racontent le moment où leur jeunesse s’en est allée avec humour, sarcasme mais aussi sérénité… Le bénéfice de l’âge ?
Pascal Bruckner : “Quand je me suis découvert les poils de trop”

© Jean-François Paga/Opale via Leemage
Il y a quelque temps de ça, allongé sur une pelouse de Central Park, à New York, avec une amie de vingt ans ma cadette, j’eus la surprise de l’entendre me dire, alors qu’elle m’examinait : « Tu as du poil dans les oreilles comme mon père. » Ce fut comme un électrochoc : j’allai me regarder dans la glace et constatai la véracité de cette remarque. Non seulement les extrémités se rallongent après 40 ans, le nez, les oreilles, les mains, les pieds, mais les hommes développent souvent une pilosité importune dans les narines, les oreilles, sur le torse. On ne se voit pas vieillir soi-même, sauf certains matins cruels, où l’on peine à reconnaître celui qui nous fait face.
“C’est cela le destin : soi-même sous la forme d’un autre”
Le Temps, ce grand démolisseur, s’amuse le plus souvent à déformer les traits, à les distendre sans indulgence. Il plaque une loupe sur les visages, grossit un trait, reconfigure une physionomie, froisse la peau, élargit des pommettes, procède à un morphing monstrueux. Le visage humain est un palimpseste où se superposent plusieurs époques : l’on retrouve certains jours l’ombre de l’adolescent qu’on a été, les restes épars d’un sourire disparu, d’une insouciance oubliée. L’âge nous revêt d’une trompeuse ressemblance avec nous-mêmes, il s’est emparé de nous par surprise. C’est cela le destin, disait Hegel : soi-même sous la forme d’un autre. Croiser un ou une vieille amie que l’on n’a pas vue depuis des lustres, c’est procéder de part et d’autre à une opération de reconnaissance faciale comme ces témoins qui doivent identifier, derrière une vitre sans tain, l’auteur d’une agression. La personne proteste : mais enfin c’est moi. Les yeux sonnent le tocsin, vous supplient de faire le rapprochement. Mais comme il y a des coups de vieux, il y a des coups de jeune, des « étés de la Saint-Jean », après de longues vacances, quand le soleil et le repos lissent les traits. La chute est réversible : il existe parfois, au plus fort de l’automne, des éclats de printemps qui nous consolent de la mélancolie des crépuscules.
Chloé Delaume : “Quand je suis devenue invisible”
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